Souffle sain pour vent toxique (10)

En ces temps où les Etats parents enferment leurs citoyens enfants dans une violence institutionnelles pour leur bien, et où les citoyens parents s'y soumettent jusqu'à imposer eux-mêmes la violence institutionnelle à leurs enfants en leur faisant porter une culpabilité injuste, tant sur la bouche que dans les mains que dans leur psychisme (vous êtes contagieux d'un mal dont vous ne souffrez pas, donc il nous incombe de vous en faire souffrir)…

Les citoyens parents “savent” au plus profond d'eux ce qu'ils font, mais l'obéissance est d'autant plus totale et totalitaire qu'elle est la seule alternative possible. Car, que faire s'ils n'obéissaient pas à ce qui est fait au nom de leur bien? Ne voulant pas être vus injustement comme maltraitants, ils choisissent d'obéir et sacrifier leurs enfants pour être vus injustement comme “bientraitants”.

Une crise de civilisation dont quelques racines sont décrites dans les extraits ci-dessous.

C’est pour ton bien

Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant
Miller, Alice, Aubier, 1984, 320 p. (extraits, avec références des pages)
Extraits sélectionnés par Jean-Pierre Lepri.
http://www.alice-miller.com/index_fr.php//

“Quelle chance pour ceux qui gouvernent que les hommes ne pensent pas” (Adolf Hitler).

L’opinion publique est loin d’avoir pris conscience que ce qui arrivait à l’enfant dans les premières années de sa vie se répercutait inévitablement sur l’ensemble de la société. 71 La seule connaissance des lois du développement de l’enfant ne nous met pas à l’abri de l’insatisfaction, ni de la colère, lorsque son comportement ne correspond pas à nos représentations idéales, ni à nos besoins, sans parler des cas où il semble mettre en péril nos mécanismes de défense.

La position des enfants est toute différente : ils ne sont pas entravés par un passé, et leur tolérance vis-à-vis des parents est absolument sans limites. 16

Les regards d’interdiction ou de mépris que perçoit le nourrisson peuvent entraîner à l’âge adulte de graves troubles. 18

Tout jeune enfant a besoin pour l’accompagner dans l’existence d’un être qui lui manifeste de l’empathie. On peut faire de l’enfant une foule de choses dans les deux premières années de sa vie, le plier, disposer de lui, lui enseigner de bonnes habitudes, le corriger et le punir, sans qu’il arrive quoi que ce soit, sans que l’enfant se venge. Il n’empêche qu’il ne parvient à surmonter sans difficulté l’injustice qui lui a été faite qu’à la condition de pouvoir se défendre, autrement dit à la condition de pouvoir donner à sa souffrance et à sa colère une expression structurée. Les sentiments sont refoulés, et le besoin de les exprimer de façon structurée demeure insatisfait et sans espoir de satisfaction. 19

Comment nos parents ont-ils été élevés ? Que devaient-ils et que pouvaient-ils faire de nous ? Comment aurions-nous pu nous en apercevoir alors que nous étions enfants ? Comment aurions-nous pu nous comporter autrement avec nos propres enfants ? Ce diabolique cercle vicieux pourra-t-il être aboli un jour ? La culpabilité n’existe-t-elle plus à partir du moment où l’on se bande les yeux ? 22

Ce sont toujours l’« entêtement », le caprice, l’esprit frondeur et la violence des sentiments de l’enfance qui ont posé le plus de problèmes à l’éducateur. 23

Les parents luttent pour obtenir sur leurs enfants le pouvoir qu’ils ont dû eux-mêmes abdiquer auprès de leurs propres parents. La menace qu’ils ont senti peser sur eux dans les premières années de leur vie et dont ils ne peuvent se souvenir, ils la vivent pour la première fois avec leurs propres enfants, et c’est seulement alors, devant de plus faibles qu’eux, qu’ils se défendent souvent très puissamment. Ils s’appuient ce faisant sur une foule de rationalisations qui ont subsisté jusqu’à aujourd’hui. Bien que ce soit toujours pour des raisons internes, autrement dit pour leurs propres besoins, que les parents maltraitent leurs enfants, il est admis une fois pour toutes dans notre société que ce traitement doit être bon pour l’enfant. 29

L’enfant doit donc apprendre dès le départ à « se renier lui-même », à étouffer en lui le plus tôt possible tout ce qui « n’a pas la faveur divine ». 43

Etant donné que l’on croit savoir exactement quels sont les sentiments justes et bons pour l’enfant (comme pour l’adulte), on lutte aussi contre la violence qui est la véritable source de l’énergie. 44

On combat comme source du mal quelque chose que l’on a soi-même fait naître. Une fois que l’on a suscité le « mal » par la répression du vivant, tous les moyens sont bons pour le combattre chez la victime. 45

Comment un petit enfant pourrait-il avoir l’idée que le besoin de tonnerre et l’éclair est issu des profondeurs inconscientes de l’âme de l’éducateur et n’a rien à voir avec sa propre âme enfantine ?
L’enfant doit se soumettre à l’adulte sans demander de raisons. 55

La privation d’amour dans toutes ses nuances joue un rôle primordial car nul enfant ne peut en supporter le risque. 58

Si l’enfant apprend à considérer même les châtiments corporels comme des « mesures nécessaires » contre les « malfaiteurs », parvenu à l’âge adulte, il fera tout pour se protéger lui-même de toute sanction par l’obéissance, et n’aura, en même temps, aucun scrupule à participe au système répressif. 59

Avoir sa propre volonté et sa propre opinion était considéré comme une marque d’obstination, et par conséquent interdit. 60

Le mépris et la persécution de l’enfant dans toute sa faiblesse, ainsi que la répression de la vie, de la créativité et de la sensibilité, en lui comme en nous-mêmes, s’étendent à de si nombreux domaines que nous ne les remarquons presque plus. Les degrés d’intensité et les sanctions varient mais on retrouve presque partout la tendance à éliminer le plus vite possible l’élément infantile, autrement dit l’être faible, dépourvu et dépendant qui nous habite, pour que se développe enfin l’être puissant, autonome et actif qui mérite le respect. Et quand nous rencontrons ce même être faible chez nos enfants, nous le poursuivons avec des moyens analogues à ceux que nous avons employés pour le combattre nous-mêmes et nous appelons cela l’éducation.

Les différents aspects caractéristiques de la « pédagogie noire » nous enseignent les principes suivants :

1. que les adultes sont les maîtres (et non pas les serviteurs !) de l’enfant encore dépendant ;
2. qu’ils tranchent du bien et du mal comme des dieux ;
3. que leur colère est le produit de leurs propres conflits ;
4. qu’ils en rendent l’enfant responsable ;
5. que les parents ont toujours besoin d’être protégés ;
6. que les sentiments vifs qu’éprouve l’enfant pour son maître constituent un danger ;
7. qu’il faut le plut tôt possible « ôter à l’enfant sa volonté » ;
8. que tout cela doit se faire très tôt de manière à ce que l’enfant « ne s’aperçoive de rien » et ne puisse pas trahir l’adulte.

Les moyens de l’oppression du vivant sont les suivants : pièges, mensonges, ruses, dissimulation, privation d’amour, isolement, méfiance, humiliation, mépris, moquerie, honte utilisation de la violence jusqu’à la torture. 77-78

L’une des méthodes de la « pédagogie noire » consiste également à transmettre dès le départ à l’enfant des informations et des opinions fausses. Ces dernières se transmettent depuis des générations et sont respectueusement reprises à leur compte par les enfants, alors que non seulement leur validité n’est pas prouvée, mais qu’il est prouvé qu’elles sont fausses. Entre autres opinions erronées, on peut citer par exemple les principes selon lesquels :

1. le sentiment du devoir engendre l’amour ;
2. on peut tuer la haine par des interdits ;
3. les parents méritent a priori le respect en tant que parents ;
4. les enfants ne méritent a priori aucun respect ;
5. l’obéissance rend fort ;
6. un sentiment élevé de sa propre valeur est nuisible ;
7. un faible sentiment de sa propre valeur conduit à l’amour de ses semblables ;
8. les marques de tendresse sont nocives (mièvrerie) ;
9. il ne faut pas céder aux besoins de l’enfant ;
10. la dureté et la froideur sont une bonne préparation à l’existence ;
11. une reconnaissance simulée vaux mieux qu’une sincère absence de reconnaissance ;
12. l’apparence est plus importante que l’être ;
13. les parents ni Dieu ne pourraient supporter la moindre injure ;
14. le corps est quelques chose de sale et de dégoûtant ;
15. la vivacité des sentiments est nuisible ;
16. les parents sont des êtres dénués de pulsions et exempts de toute culpabilité ;
17. les parents ont toujours raison. 78

Pour tout pédagogue, il est entendu, une fois pour toute, qu’il est mal de mentir, de faire du mal à quelqu’un ou de le vexer, de réagir par la cruauté à la cruauté parentale, au lieu de comprendre les bonnes intentions qu’elle cache, et inversement, il est considéré comme bon et positif que l’enfant dise la vérité, qu’il ne s’arrête pas à la cruauté de leurs actes, qu’il reprenne à son compte les idées de ses parents, qu’il sache adopter une attitude critique vis-à-vis de ses propres idées, et surtout qu’il ne fasse aucune difficulté pour se soumettre à ce qu’on exige de lui. Pour inculquer à l’enfant ces valeurs presque universellement reconnues, non seulement dans la tradition judéo-chrétienne mais aussi dans d’autres traditions, l’adulte doit parfois recourir au mensonge, à la dissimulation, à la cruauté, aux mauvais traitements et à l’humiliation, mais, chez lui, ce ne sont plus des « valeurs négatives », parce qu’il est déjà éduqué et qu’il n’est contraint d’employer ces moyens que pour parvenir à l’objectif sacré, à savoir que l’enfant renonce au mensonge, à la dissimulation, au mal, à la cruauté et à l’égoïsme. En fait, ce sont l’ordre hiérarchique et le pouvoir qui déterminent en dernier ressort qu’une action est bonne ou mauvaise. 82

Il y a indubitablement à mes yeux des valeurs que je n’ai pas besoin de relativiser et dont les possibilités de réalisation détermineront sans doute à long terme nos chances de survie. Ce sont entre autres : le respect des faibles, et par conséquent des enfants en particulier, le respect de la vie et de ses lois, sans quoi toute créativité est étouffée.

Ceux qui ont eu dès l’enfance la possibilité de réagir consciemment ou inconsciemment de façon adéquate aux souffrances, aux vexations et aux échecs qui leur étaient infligés, c’est-à-dire d’y réagir par la colère, conservent dans leur maturité cette aptitude à réagir de façon adéquate.

Adultes, ils perçoivent très bien et savent exprimer, le mal qu’on leur fait. Mais ils n’éprouvent pas pour autant le besoin de sauter à la gorge des autres. 83

Lorsqu’un terroriste attaque, au nom de ses idéaux, des êtres sans défense, se livrant ainsi à la fois aux chefs qui le manipulent et à la police du système qu’il combat, il raconte inconsciemment, par sa compulsion de répétition, ce qui lui a été fait jadis au nom des nobles idéaux de l’éducation. 85

La soumission absolue de l’enfant à la volonté des adultes ne s’est pas seulement traduite par la sujétion politique ultérieure (par exemple dans le système totalitaire du Troisième Reich), mais, avant même, par la prédisposition intérieure à toute nouvelle sujétion, dès lors que le jeune homme quittait la maison familiale. Comment un être qui n’avait pu développer en lui-même que la seule aptitude à obéir aux ordres qui lui étaient donnés aurait-il pu vivre de façon autonome avec ce vide intérieur ? 89

Nous nous demandons bien souvent comment un couple peut exister, comment cette femme peut vivre avec cet homme ou vice-versa. Il se peut que l’épouse en question ne supporte la vie commune qu’au prix d’immenses souffrances, de l’abdication de sa propre vie. Mais elle a l’impression qu’elle mourrait de peur si son mari l’abandonnait. En réalité, cette rupture serait peut-être la chance de sa vie. Mais elle ne peut pas s’en rendre compte tant qu’elle revit avec son mari les anciennes souffrances vécues avec son père et inconsciemment refoulées. À l’idée d’être abandonnée par cet homme, elle ne ressent pas la situation présente, mais revit l’angoisse d’abandon de la toute petite enfance et de l’époque où elle était véritablement dépendante de son père. 92-93

Lorsque survient un personnage qui parle et se comporte de façon analogue à son propre père, même l’adulte en oublie ses droits démocratiques ou n’en fait plus usage, il se soumet à ce personnage, lui fait des ovations, se laisse manipuler par lui, lui accorde toute sa confiance, enfin se livre entièrement à lui et ne s’aperçoit pas de l’esclavage dans lequel il tombe, parce que l’on ne remarque pas ce qui s’inscrit dans la continuité de sa propre enfance. Et à partir du moment où l’on s’est rendu aussi dépendant de quelqu’un qu’on l’était de ses parents dans sa petite enfance, il n’y a plus de moyen d’y échapper. 95

A partir du moment où les sentiments ont droit de cité, le silence est rompu, et il ne peut plus y avoir de frein au triomphe de la vérité. Même les débats intellectuels sur la question de savoir «si la vérité existe», « si tout n’est pas relatif », etc., apparaissent sous leur véritable jour, avec la fonction de protection qu’ils assurent, dès lors que la douleur a mis à nu la vérité. 96


Cette adaptation parfaite aux normes de la société, à ce qu’on appelle la « saine normalité », comporte bien évidemment le risque que le sujet en question puisse être utilisé à de nombreuses fins. Ce n’est pas une perte d’autonomie qui se produit ici, puisqu’il n’y a jamais eu d’autonomie, mais une interversion des valeurs, qui ne présentent en elles-mêmes, de toute façon, aucune importance pour l’individu considéré, aussi longtemps que le principe de l’obéissance domine tout son système de valeurs. On en est resté à l’idéalisation des parents et de leurs exigences qui peut aisément être transposée au Führer ou à l’idéologie correspondante. Etant donné que les parents ont toujours raison dans ce qu’ils exigent, ce n’est pas la peine de se casser la tête à chaque fois, pour savoir si leur exigence ponctuelle est également juste. 104

Le courage, l’honnêteté et l’aptitude à aimer les autres ne doivent pas être considérés comme des « vertus », ni comme de catégories morales, mais comme les conséquences d’un destin plus ou moins clément.

La morale et le sens du devoir sont des prothèses auxquelles il faut recourir lorsqu’il manque un élément capital. Plus la répression des sentiments a été profonde dans l’enfance, plus l’arsenal d’armes intellectuelles et la réserve de prothèses morales doivent être importants, car la morale et le sens du devoir ne sont ni les sources d’énergie, ni le terrain propice aux véritables sentiments humains. Les prothèses ne sont pas des éléments vivants. 105

Le sens du devoir n’est certes pas un terrain propice au développement de l’amour, mais à celui de sentiments réciproques de culpabilité. Par des sentiments de culpabilité qui durent toute la vie et une reconnaissance qui le paralyse, l’enfant est à tout jamais lié à la mère. 106

On comprend assez facilement, ou presque, que des hommes et des femmes aient pu sans problèmes apparents conduire à la chambre à gaz un million d’enfants porteur de ces parts de leur propre psychisme qu’ils redoutaient tant. On peut même se représenter qu’ils leurs aient hurlé dessus, qu’ils les aient battus ou photographiés et qu’ils aient enfin trouvé là un exutoire à leur haine de la petite enfance. Leur éducation visait dès le départ à exterminer tout ce qui relevait de l’enfance, du jeu et du vivant. Il fallait qu’ils reproduisent exactement de la même manière l’atrocité commise sur eux, le meurtre de l’âme perpétré sur les enfants qu’ils avaient été : chez ces enfants juifs qu’ils envoyaient à la chambre à gaz, ils ne faisaient jamais que reproduire inlassablement le meurtre de leur propre existence d’enfants. 107

L’éducation sert, dans bien des cas, à empêcher que ne s’éveille à la vie chez son propre enfant ce que l’on a jadis tué en soi-même. 111

Le principe pédagogique selon lequel il faudrait « orienter » dès le départ l’enfant dans une certaine direction naît du besoin de dissocier du soi les éléments inquiétants de sa propre intériorité et de les projeter sur un objet disponible. Le caractère malléable, souple, sans défense et disponible de l’enfant en fait l’objet idéal de ce type de projection. L’ennemi intérieur peut enfin être combattu à l’extérieur.

Les spécialistes de la recherche sur la paix sont de plus en plus conscients de ces mécanismes, mais tant qu’on n’en voit pas la source dans l’éducation des enfants, ou tant qu’on la dissimule, on ne peut pas entreprendre grand-chose pour y remédier. Car des enfants qui ont grandi investis des éléments exécrés de la personnalité de leurs parents, qu’il fallait combattre, ne peuvent pas espérer transférer ces éléments sur quelqu’un d’autre pour se sentir à nouveau bons, « moraux », nobles et proches des autres. Alors que ce type de projection peut aisément se faire sur n’importe quelle idéologie. 112

C’est l’éducateur, et non l’enfant, qui a besoin de la pédagogie. Ma position antipédagogique n’est pas orientée contre un certain type d’éducation mais contre l’éducation en soi, même lorsqu’elle est anti-autoritaire. 117

Ma conviction de la nocivité de l’éducation repose sur les constations suivantes :

Tous les conseils pour l’éducation des enfants trahissent plus ou moins nettement des besoins de l’adulte, nombreux et divers, dont la satisfaction n’est pas nécessaire au développement de l’enfant et de ce qu’il y a de vivant en lui, et par surcroît l’entrave. Cela vaut même pour les cas où l’adulte est sincèrement persuadé d’agir dans l’intérêt de l’enfant. Parmi ces besoins, il faut compter : premièrement, le besoin inconscient de reporter sur un autre les humiliations que l’on a soi-même subies dans le passé ; deuxièmement, le besoin de trouver un exécutoire aux affects refoulés ; troisièmement, celui de posséder un objet vivant disponible et manipulable ; uatrièmement, celui de conserver sa propre défense, c’est-à-dire de préserver ’idéalisation de sa propre enfance et de ses propres parents, dans la mesure où la valeur de ses propres principes d’éducation doit confirmer celles des principes parentaux ; cinquièmement, la peur de la liberté ; sixièmement, la peur de la réémergence du refoulé que l’on retrouve chez son propre enfant et qu’il faut à nouveau combattre chez lui, après l’avoir tué en soi ; septièmement et pour finir, la vengeance pour les souffrances endurées. Etant donné que, dans toute éducation, l’une de ces motivations intervient, elle est tout au plus bonne à faire de l’enfant un bon éducateur. Mais en aucun cas, elle ne peut l’aider à accéder à la liberté de la vie. Quand on éduque un enfant, il apprend à éduquer. Quand on fait la morale à un enfant, il apprend à faire la morale ; quand on le met en garde, il apprend à mettre en garde ; quand on le gronde, il apprend à gronder ; quand on se moque de lui, il apprend à se moquer ; quand on l’humilie, il apprend à humilier ; quand on tue son intériorité, il apprend à tuer. Il n’a alors plus qu’à choisir qui tuer: lui-même, les autres, ou les deux.

L’enfant a besoin, pour son développement, de respect de la part de sa personne de référence, de tolérance pour ses sentiments, de sensibilité à ses besoins et à ses susceptibilités, du caractère authentique de la personnalité de ses parents, dont c’est la propre liberté – et non des considérations éducatives – qui impose des limites naturelles à l’enfant. 119

Je ne vois pas quelle signification positive on pourrait trouver au terme « éducation ». Je n’y vois qu’une défense des adultes, une manipulation pour échapper à leur propre insécurité et à leur propre absence de liberté, que je peux certes comprendre, mais dont je ne dois pas ignorer les dangers.

Il y a dans le mot « éducation » la représentation d’un certain nombre d’objectifs que l’enfant doit atteindre – et l’on influe par là-même sur ses possibilités de développement. 121

L’accompagnement de l’adulte permet à l’enfant de se développer pleinement s’il présente les caractéristiques suivantes :

1. Respect de l’enfant ;
2. Respect de ses droits ;
3. Tolérance pour ses sentiments ;
4. Volonté de tirer de son comportement un enseignement sur :
a) La nature de cet enfant en particulier ;
b) Leur propre nature d’enfants, qui permette aux parents un véritable travail du deuil ;
c) Sur les lois de la sensibilité, qui apparaissent bien plus nettement chez l’enfant que chez l’adulte, parce que l’enfant vit ses sentiments de façon bien plus intense et, dans les meilleurs des cas, de façon bien plus directe que l’adulte. 122

Les principales étapes de la vie de la plupart des êtres consistent à :

1. subir dans sa petite enfance des offenses que personne ne considère comme telles ;
2. ne pas réagir à la douleur par la colère ;
3. manifester de la reconnaissance pour ces prétendus bienfaits ;
4. tout oublier ;
5. à l’âge adulte, décharger sur les autres la colère que l’on accumulée ou la retourner contre soi-même.

La plus grande cruauté que l’on inflige aux enfants réside dans le fait qu’on leur interdit d’exprimer leur colère ou leur souffrance, sous peine de risquer de perdre l’amour et l’affection de leurs parents. Cette colère de la petite enfance s’accumule donc dans l’inconscient, et comme elle représente dans le fond un très sain potentiel d’énergie vitale, il faut que le sujet dépense une énergie égale pour le maintenir refoulé. 128

Un être qui, avec ou sans châtiments corporels, a été contraint très le départ à étouffer en lui l’enfant vivant, ou le bannir, à le rejeter et à le persécuter, aura toute sa vie le souci de ne pas laisser cette menace intérieure se manifester à nouveau. Mais les forces psychiques sont d’une telle résistance qu’elles sont rarement étouffées définitivement. Elles cherchent perpétuellement des échappatoires pour pouvoir subsister sous une apparence déformée qui n’est pas toujours sans danger pour la société. L’une de ces formes est, par exemple, la projection de l’élément infantile à l’extérieur, dans le moi grandiose ; une autre en est la lutte contre le « mal » à l’intérieur de soi. La « pédagogie noire » montre que ces deux formes sont liées et que l’éducation religieuse traditionnelle les associe. 142

On se traite soi-même, sa vie durant, de la même façon que l’on a été traité dans la petite enfance. Et les plus torturantes souffrances sont souvent celles que l’on s’inflige ultérieurement. Il n’y a plus aucun moyen d’échapper au tortionnaire que l’on porte en soi et qui souvent se déguise en éducateur. 158

Nulle part je n’ai trouvé la bête, l’enfant mauvais, que les pédagogues croient devoir éduquer au « bien ». Je n’ai trouvé partout que des enfants sans défense qui avaient été maltraités par des adultes au nom de l’éducation et bien souvent pour servir des idéaux supérieurs. Mon optimisme repose donc sur l’espoir que l’opinion publique n’acceptera plus que soient dissimulés les mauvais traitements au service de l’éducation, dès lors qu’elle aura compris :
1. que cette éducation n’est pas fondamentalement conçue pour le bien de l’enfant mais pour satisfaire les besoins de puissance et de vengeance de ses éducateurs et
2. que non seulement l’enfant maltraité mais, en dernier ressort, nous tous pouvons en être victimes. 278

Ce qu’un être peut subir comme injustice, humiliation, mauvais traitement et abus ne reste pas, contrairement à ce que l’on pense généralement, sans effet. L’effet des mauvais traitements se répercute sur de nouvelles victimes innocentes, même si la mémoire n’en est pas restée dans la conscience de la victime elle-même. 281

La colère contre les parents, rigoureusement interdite mais très intense chez l’enfant, est transférée sur d’autres êtres et sur son propre soi, mais elle n’est pas éliminée du monde, au contraire : par la possibilité qui lui est donnée de se déverser sur les enfants, elle se répand dans le monde entier comme une peste. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des guerres de religion, bien que cela constitue dans le fond une contradiction en soi.

Le véritable pardon ne passe pas à côté de la colère, mais il passe par elle. C’est seulement à partir du moment où j’ai pu me révolter contre l’injustice qui m’a été faite, lorsque j’ai identifié la persécution en tant que telle et pu haïr mon bourreau, que la voie du pardon m’est ouverte. Pour que la colère, la rancœur et la haine ne se perpétuent pas éternellement, il faut que l’histoire des souffrances de la petite enfance soit entièrement dévoilée. 282

Lorsqu’un adulte a eu la chance de remonter jusqu’aux origines de l’injustice qu’il a subie dans sa vie individuelle et de la vivre avec des sentiments conscients, avec le temps, il comprendra de lui-même, et de préférence sans l’aide d’aucune assistance éducative ni religieuse, que ce n’est pas par plaisir, par puissance et par vitalité que ses parents l’ont torturé et maltraité comme ils l’ont fait, mais parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement, et qu’en ayant eux-mêmes été victimes autrefois, ils croyaient aux méthodes traditionnelles d’éducation.

Un être qui a pu dès l’enfance se sentir libre et fort n’a pas le moindre besoin d’en humilier les autres. 283

Ce n’est pas la haine vécue mais la haine accumulée intérieurement et réprimée par des idéologies qui conduit à des actes de violence et à la destruction. Tout sentiment vécu et éprouvé fait place avec le temps à un autre, et la haine du père la plus violente, si elle est consciente ne poussera jamais un être à commettre un meurtre, sans parler d’exterminer des peuples entiers.

1. Pour que les parents ressentent ce qu’ils font à leurs enfants, il faudrait qu’ils aient d’abord ressenti ce qui leur a été fait dans leur propre enfance. Mais c’est précisément ce qui leur a été interdit. 298

2. Lorsque le drame de leur enfance reste entièrement dissimulé derrière des idéalisations chez des êtres par ailleurs de bonne foi, il faut que la connaissance inconsciente de cet état de choses s’exprime indirectement. C’est ce qui se produit par l’intermédiaire de la compulsion de répétition. Pour des raisons qui leur restent incompréhensibles, ces êtres recréent toujours des situations et nouent toujours des relations dans lesquelles ils torturent leurs partenaires, sont torturés par eux ou les deux à la fois.
3. Du fait que la torture de ses propres enfants est un moyen d’éducation considéré comme légitime, l’agressivité refoulée et accumulée trouve là un exutoire facile.
4. Comme par ailleurs les réactions agressives aux mauvais traitements physiques ou psychiques infligés par les parents sont interdites par presque toutes les religions, le sujet en est réduit à ce type d’exutoires.

Où que je regarde, je vois l’ordre de respecter les parents, mais nulle part l’exigence du respect de l’enfant. 299

Ce ne sont pas des « crises » ni des « systèmes » qui ont tué, ce sont des hommes, des hommes dont les pères avaient toujours pu être fiers de l’obéissance de leurs petits. 300

1. Exprimant ses besoins les plus normaux et les plus inoffensifs, l’enfant peut être ressenti par ses parents comme exigeant, tyrannique et dangereux, s’ils ont eux-mêmes souffert par exemple de l’autorité d’un père tyrannique dont ils n’ont pas pu se défendre.
2. L’enfant peut réagir à ces « attributions » par une exigence effective, issue de son faux soi, de manière à incarner aux yeux de ses parents le père agressif qu’ils recherchent toujours.
3. Traiter ce comportement de l’enfant ou du futur patient au niveau des pulsions, et vouloir l’aider en l’éduquant au « renoncement pulsionnel », serait ignorer la véritable histoire de cette tragique représentation de soi-même et abandonner le patient à sa solitude.
4. Il n’y a pas besoin de rechercher le « renoncement pulsionnel », ni la « sublimation » de la « pulsion de mort », à partir du moment où l’on a compris les racines d’une action destructrice ou agressive dans l’histoire de sa vie, dans la mesure où, à partir de ce moment-là, les énergies psychiques se changent d’elles-mêmes en créativité à condition qu’aucune mesure éducative n’ait été prise.
5. Le travail du deuil sur ce qui s’est passé irréversiblement est la condition sine qua non de ce processus.
6. Ce travail du deuil conduit non seulement à de nouvelles formes d’interaction avec des partenaires actuels mais aussi à une modification intrapsychique structurelles. 306

Les parents ne sont bien évidemment pas uniquement des bourreaux, mais il est important de savoir que, dans bien des cas, ils le sont aussi, et très souvent sans même s’en apercevoir. Les parents qui aiment leurs enfants devraient avoir, plus que personne, la curiosité de savoir ce qu’ils font inconsciemment à leurs enfants. S’ils ne veulent rien en savoir tout en se réclamant de leur amour, c’est qu’ils n’ont pas véritablement le souci de la vie de leurs enfants, mais celui d’une sorte de comptabilité dans leur propre registre de culpabilité. 307

Toute pédagogie devient superflue dès lors que l’enfant a pu avoir auprès de lui, dans son enfance, une personne stable, qu’il peut utiliser au sens où l’entent également Winnicott, qu’il ne doit pas craindre de perdre, par qui il n’a pas à craindre d’être abandonné s’il exprime ce qu’il ressent. Un enfant qui est pris au sérieux, respecté et soutenu dans ce sens-là peut faire sa propre expérience de lui-même et du monde et n’a pas de sanctions à craindre de l’éducateur. 313

Le drame de l’individu bien élevé réside dans le fait qu’une fois adulte, il ne peut pas savoir ce qui lui a été fait, ni ce qu’il fait lui-même, s’il ne s’en est pas aperçu quand il était enfant. Des foules d’institutions en profitent et en particulier les régimes totalitaires. 314
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