Souffle sain pour vent toxique (11)

Sur le chemin d'être dans le stoïcisme aujourd'hui.

Le manuel d'Epictète – extraits

V.
Ce qui tourmente les hommes, ce n'est pas la réalité mais les jugements qu'ils portent sur elle. Ainsi, la mort n'a rien de redoutable. Socrate lui-même était de cet avis: la chose à craindre, c'est l'opinion que la mort est redoutable. Donc,lorsque quelque chose nous contrarie, nous tourmente ou nous chagrine, n'en accusons personne d'autre que nous-mêmes: c'est-à-dire nos opinions. C'est la marque d'un petit esprit de s'en prendre à autrui lorsqu'il échoue dans ce qu'il a entrepris; celui qui exerce sur soi un travail spirituel s'en prendra à soi-même; celui qui achèvera ce travail ne s'en prendra ni à soi ni aux autres.

VIII.
N'attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites; décide de vouloir ce qui arrive comme cela arrive et tu seras heureux.

IX.
La maladie est une gêne pour le corps; pas pour la liberté de choisir, à moins qu'on ne l'abdique soi-même. Avoir un pied trop court est une gêne pour le corps, pas pour la liberté de choisir. Aie cette réponse à l'esprit en toute occasion: tu verras que la gêne est pour les choses ou pour les autres, non pour toi.

XI.
Ne dis jamais, à propos de rien, que tu l'as perdu; dis: «Je l'ai rendu.» Ton enfant est mort? Tu l'as rendu. Ta femme est morte? Tu l'as rendue. On t'a volé? Eh bien, ce que l'on t'a volé, tu l'as rendu. «Mais c'est un scélérat qui me l'a pris!» Que t'importe le moyen dont s'est servi, pour le reprendre, celui qui te l'avait donné? En attendant le moment de le rendre, en revanche, prends-en soin comme d'une chose qui ne t'appartient pas, comme font les voyageurs dans une auberge.

XII.
1. Si tu veux faire des progrès, laisse tomber les réflexions du genre: «Si je néglige mes intérêts, je n'aurai même pas de quoi vivre.» «Si je ne suis pas assez sévère avec mon esclave, il me servira mal.» Mieux vaut mourir de faim délivré du chagrin et de la peur, que vivre dans l'abondance au milieu des angoisses. Mieux vaut être mal servi par son esclave que malheureux.
2. Commence donc par les petites choses. On gaspille ton huile, on vole ton vin? Dis-toi: c'est le prix de la tranquillité, c'est le prix d'une âme sans trouble. On n'a jamais rien pour rien. Quand tu as besoin de ton esclave, souviens-toi qu'il peut ne pas venir et que, s'il vient, il exécutera peut-être tes ordres à tort et à travers. Mais il n'a pas le pouvoir que ta tranquillité dépende de lui.

XIV.
2. Tout homme a pour maître celui qui peut lui apporter ou lui soustraire ce qu'il désire ou ce qu'il craint. Que ceux qui veulent être libres s'abstiennent donc de vouloir ce qui ne dépend pas d'eux seuls: sinon, inévitablement, ils seront esclaves.

XVII.
Souviens-toi que tu joues dans une pièce qu'a choisie le metteur en scène: courte, s'il l'a voulue courte, longue, s'il l'a voulue longue. S'il te fait jouer le rôle d'un mendiant, joue-le de ton mieux; et fais de même, que tu joues un boiteux, un homme d'État ou un simple particulier. Le choix du rôle est l'affaire d'un autre.

XXII.
Si ton désir te pousse vers la philosophie, prépare-toi à être partout en butte aux moqueries et aux sarcasmes; à entendre dire: «Voyez-le devenu soudainement philosophe!» ou «Qu'est-ce qui nous vaut cette arrogance?» Mais toi, ne sois pas arrogant; tiens-t'en fermement aux conduites qui te semblent les meilleures, conscient que c'est le dieu qui t'a mis à ce poste. Et souviens-toi que, si tu restes constant dans ces principes, ceux qui au début se moquaient de toi finiront par t'admirer; tandis que si tu ne te montres pas à la hauteur, on rira de toi deux fois plus fort.

XXVII.
De même qu'on ne place pas de cible pour recevoir les tirs ratés, de même il n'y a pas de place pour le mal dans l'ordre universel.

XXXVIII.
Tout comme tu fais attention, en te promenant, à ne pas marcher sur un clou et à ne pas te tordre la cheville, fais attention aussi à ne pas faire de mal à ce qui dirige ton âme. En gardant cette nécessité à l'esprit au seuil de chaque entreprise, nous ferons plus sûrement ce que nous avons à faire.

XXXIX-
Pour ce que l'on doit avoir ou posséder la mesure est le corps, comme le pied est celle de la chaussure. Si tu t'en tiens à ce critère, tu garderas la mesure. Mais si tu vas au-delà, tu seras forcément entraîné comme du haut d'une falaise. Pour la chaussure, si tu vas au-delà des besoins du pied, tu la voudras couverte d'or, puis teinte en pourpre, puis brodée. Une fois qu'on a passé la mesure, il n'y a plus aucune limite.

XLII.
Face à quelqu'un qui te fait du tort par sa conduite ou ses propos, souviens-toi que s'il agit ainsi, c'est qu'il pense avoir raison. Il ne lui est pas possible de régler sa conduite sur ta façon de penser: c'est la sienne qui le guide, et, si elle est erronée, il se fait du tort à lui-même en demeurant dans son erreur. En effet, si une vérité complexe passe pour un mensonge, ce n'est pas la complexité qui est en faute, mais bien celui qui se trompe. En te fondant sur ce principe, tu garderas ton sang-froid face à ceux qui t'insultent: chaque fois, tu n'auras qu'à te dire: «C'est ce que lui pense.»

XLIII.
Toute chose donne prise sur deux côtés: l'un permet de la porter, l'autre non. Si ton frère te fait du tort, ne prends pas cela en te disant qu'il te fait du tort (c'est le côté impossible à porter), dis-toi plutôt que c'est ton frère, ton compagnon, tu prendras ainsi la chose du côté où l'on peut la porter.

XLVIII.
1. Attitude et caractère de l'homme ordinaire: il n'attend rien, en bien ou en mal, de soi-même, et tout des circonstances extérieures. Attitude et caractère du philosophe: il attend tout, en bien comme en mal, de soi-même.

LII.
1. Le premier domaine de la philosophie et le plus indispensable, c'est la mise en pratique des principes, comme, par exemple, l'interdiction de mentir. Le second concerne les démonstrations: ainsi, pourquoi ne faut-il pas mentir. Le troisième explique et analyse les deux premiers: ainsi, la reconnaissance qu'on est en présence d'une démonstration; ce que sont une démonstration, une déduction, le vrai, le faux, etc. Par conséquent, le troisième domaine est indispensable pour
accéder au second, comme le second pour accéder au premier.
2. Mais le plus indispensable, le terme de toute recherche, c'est le premier. Seulement, nous faisons tout à l'envers: nous nous attardons au troisième, nous lui consacrons tous nos efforts en oubliant complètement le premier. Voilà pourquoi nous mentons sans cesse en étant prêts, cependant, à exprimer le raisonnement qui prouve qu'il ne faut pas mentir…

LIII.
4. «Anytos et Mélétos peuvent me tuer, ils ne peuvent me nuire.»