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blog:textes:vent_001

Différentiel

Un des premiers jours de septembre.
Dans le bois, l'été encore intouché.
En dehors, les champs et les jardins sont plutôt brassés
d'automne. Entre le pré et le bois, il y a donc un différentiel
d'une demi-saison.
Marchant, venu du pré, je
perçois la frétillante stabilité entre les deux
états. Comme dans l'océan où deux courants d'eaux
de températures différentes – se frôlant – daignent
se goûter mutuellement pour discrètement se faire
unes.

Suivant la lisière j'arrive finalement au banc,
but de ma démarche. A deux mètres près,
il aurait fait partie du pré où paissent les chevaux
et les vaches, l'épervier y chasse et le chevreuil s'y ose
parfois à grappiller
un brin. Sur un petit promontoire, le banc s'offre
le pré et au-delà les toits, le clocher de l'ancien
couvent et l’horizon. Et, fin de journée, l'épervier
et les toits et l'horizon – se frôlant – daignent
se goûter mutuellement pour discrètement se faire
unes.

Je suis assis depuis peu qu'un homme
me demande s'il peut s'y asseoir aussi. “A mon âge on a
de temps en temps besoin…” Le chien qui l'accompagne vient
me voir, prend mes odeurs. “Je vous en prie”. Ils s'asseoient,
l'homme sur
l'autre bout du banc, le chien à ses pieds sur
le tapis de feuilles mortes. Un instant de silence suit
leur arrivée et les trois cris d'épervier. A cet instant
l'homme, le chien et moi – nous frôlant – daignons
nous goûter mutuellement pour discrètement nous faire
unes.

Ils repartent. C'est alors que la digue séparant l'état
du bois de celui du pré a dû céder d'un coup, car le vent, du pré,
s'engouffre avec puissance dans le bois, réanime les feuilles
mortes qui s'enroulent vers les profondeurs, agite les branches
avec force,
inonde bruyamment le petit promontoire, je le sens
en moi aussi, une heure durant, jusqu'au tarissement
où il se laisse retomber avec lourdeur au
sol. Alors, le pré et le bois – se frôlant – daignent
se goûter mutuellement pour discrètement se faire
unes.

L'état du pré et celui du bois sont en cet instant
les mêmes. Le différentiel s'exprime maintenant entre l'avant
et l'après passage du vent. Les couleurs ont un aspect plus
contrasté. L'éclat du soleil, plus ombragé.
L'épervier, plus
haut dans les airs. Son cri, plus visible.
La saison d'ici, plus distinct de celle d'ailleurs.
Et je suis là, traversé de courants de températures
différentes se frôlant et qui daignent
se goûter mutuellement pour discrètement se faire
unes.

blog/textes/vent_001.txt · Dernière modification : 07/06/2020 21:33 de 127.0.0.1