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Souffle sain pour vent toxique (3)

En ce temps où personnellement j'ai du mal à faire jaillir une créativité et où, au contraire, je n'arrive qu'à écouter l'invisible en moi, j'ai tendance à faire jaillir ce qui existe, ce qui est présent depuis longtemps déjà. Ce sont des lectures saines qui n'ont rien de particulier, et c'est pour cela qu'elles sont saines.

Une homélie de Paul Tillich tirée du receuil “Quand les fondations vascillent”. Un texte qui demande, comme c'est toujours le cas avec Tillich, une concentration totale, chaque mot est pesé. Moi, j'ai dû lire ce texte trois fois avant de vraiment saisir ce qu'il nous dit. Je crois que cela est résumé en cette phrase: “Ce n'est pas d'avoir à mourir mais de mériter de mourir qui nous rend esclaves de cette peur!”

La destruction de la mort

Ainsi donc, puisque les enfants participent à la chair et au sang, lui aussi de manière semblable y a participé, afin que par la mort il puisse détruire celui qui avait la puissance de la mort, c'est-à-dire le diable; et qu'il délivre ceux qui, par peur de la mort, ont été toute leur vie retenus dans l'esclavage. Car assurément, il ne s'est pas chargé de la nature des anges, mais de la descendance d'Abraham. Aussi devait-il devenir en tout semblable à ses frères, afin qu'il soit un grand prêtre miséricordieux et fidèle dans ce qui appartient à Dieu, pour apporter la réconciliation pour les péchés du peuple. Car ayant lui-même souffert en étant tenté, il peut secourir ceux qui sont tentés. Hébreux 2, 14-18.

La lumière de Noël brille au sein d'une obscurité qui est avant tout celle de la mort. Cette menace, qui assombrit tout le chemin de notre vie, donne à l'avent, à l'attente de l'humanité, son arrière-fond ténébreux. La mort n'est pas simplement une paire de ciseaux qui coupe le fil de notre vie, comme le dit un symbole ancien bien connu. Elle est plutôt un de ces fils qui tissent le dessin de notre existence depuis le tout début jusqu'à sa fin. A chaque instant, notre être tout entier, corps et âme, est façonné par notre avoir à mourir. La présence de la mort dans sa vie, sa peur, son courage ou sa résignation face à la mort laissent des traces sur le visage de chaque homme. Selon notre texte, cette effroyable présence de la mort soumet l'homme à l'esclavage et à la servitude pendant toute sa vie. Tant que je vis dans la peur, je ne vis pas dans la liberté, je ne suis pas libre d'agir selon ce que requiert la situation parce que ma peur engendre des représentations et des imaginations qui m'asservissent et orientent mon action dans leur sens. La peur est avant tout peur de l'inconnu, et des images créées par la peur remplissent cet inconnu obscur. On le constate même dans le cas d'événements de la vie quotidienne. Un visage inconnu terrifie un bébé, ne pas connaître la volonté de ses parents ou de ses professeurs suscite de la crainte chez l'enfant; les implications inconnues d'une situation ou t'une tâche nouvelle génèrent la peur, qui vient de ce qu'on ne se sent pas capable d'y faire face. On le vérifie au plus haut degré dans le cas de la mort; elle est l'inconnu absolu; aucune lumière n'en atténue l'obscurité et elle éteint même l'imagination; elle ne laisse place à aucune action ni aucune décision et elle met fin à tout ce que nous avons été. elle est tout à la fois la pensée la plus nécessaire et la plus impossible. Elle est l'objet d'une peur véritable et ultime; c'est d'elle que toutes les autres peurs tirent leur puissance; elle a envahi le Christ lui-même à Gethsémané.
Nous devons nous interroger sur le pourquoi de cette peur. Ne sommes-nous pas des êtres finis, limités, incapables d'imaginer ou de désirer une prolongation infinie de notre finitude qui serait plus terrible que la mort? N'y a-t-il pas en nous un sentiment d'accomplissement, de satisfaction et de lassitude de la vie comme le montrent clairement les paroles au sujet des patriarches de l'Ancien Testament? La loi de “la poussière qui retourne à la poussière” n'est-elle pas une loi naturelle? Mais alors pourquoi l'histoire du paradis la présente-t-elle comme une malédiction? Il doit y avoir dans la mort quelque chose de plus profondément mystérieux que la mélancolie naturelle qui accompagne la conscience que nous sommes des êtres transitoires. Paul le souligne lorsqu'il écrit que la mort est le salaire du péché et le péché l'aiguillon de la mort. Notre texte parle aussi de “celui qui a la puissance de la mort, le diable” – la puissance combinée du péché et du mal. La mort bien que naturelle pour tout être fini semble en même temps s'opposer à la nature. Mais seul l'homme, ce qui appartient à sa grandeur et à sa dignité, a la possibilité d'envisager consciemment sa mort et donc de regarder sa vie comme un tout qui va d'un commencement précis vers une fin précise, ce qui le rend capable de s'interroger sur le sens de sa vie – une question qui l'élève au-dessus de sa vie et lu fait sentir son éternité. Savoir qu'on doit mourir, c'est aussi savoir qu'on est au-dessus de la mort. Etre simultanément mortel et immortel, voilà la destinée de l'homme. Du coup nous voyons ce qui fait de la mort un aiguillon et pourquoi le diable a la puissance de la mort: nous avons perdu notre immortalité. La peur ultime de la mort ne vient pas de ce que nous sommes mortels, mais plutôt de ce que nous avons perdu notre éternité au-delà de notre mortalité naturelle et inéluctable. Nous l'avons perdue par la séparation pécheresse d'avec l'Eternel et nous portons la culpabilité de cette séparation.
La peur de la mort dont nous sommes esclaves durant notre vie est une peur à la fois naturelle et coupable. Dans cette peur, il n'y a pas seulement la connaissance de notre finitude, mais aussi celle de notre infinitude: déterminé pour l'éternité, notre être a perdu cette éternité. Ce n'est pas d'avoir à mourir mais de mérité de mourir qui nous rend esclaves de cette peur!
Le salut n'est donc pas une procédure magique qui éliminerait notre finitude. Il est plutôt un jugement qui déclare que nous ne méritons pas de mourir parce que nous sommes justifiés. Ce jugement ne se fonde pas sur ce que nous avons fait, car alors il ne nous inspirerait aucune confiance. Il se fonde sur quelque chose que l'éternité elle-même a fait, quelque chose que nous pouvons entendre et voir: la réalité d'un homme mortel qui par sa propre mort a vaincu celui qui a la puissance de la mort.
Si Noël a un sens, c'est bien celui-là. Lorsque vous écoutez les prophéties de l'avent et les histoires de Noël, demandez-vous si votre attitude vis-à-vis de la mort a changé: êtes-vous toujours esclave de cette peur ou pouvez-vous affronter l'image de votre propre mort? que les beaux arguments en faveur de l'immortalité de l'âme ne vous trompent pas sur le sérieux de la mort – non pas de la mort en général ou de celle de quelqu'un d'autre, mais de votre propre mort. Le message chrétien est plus réaliste que cela: il sait que nous – réellement nous et pas seulement une partie de nous – avons à mourir. Et à l'intérieur du christianisme, il n'existe qu'un seul “argument” contre la mort: le pardon des péchés et la victoire sur celui qui a la puissance de la mort. Il annonce que l'Eternel vient vers nous, devient temporel afin de restaurer notre éternité. L'homme tout entier est simultanément mortel et immortel: il est simultanément temporel et éternel, simultanément jugé et sauvé, parce que l'Eternel a participé à la chair, au sang et à la peur de la mort. Voilà le message de Noël.

billets/2021/1209souffle_sain_pour_vent_toxique_3.txt · Dernière modification : 09/12/2021 20:29 de david