Entre le bien et le mal – Carl Jung
Ce qui paraît simple est toujours le plus difficile. En fait, la simplicité constitue l'art suprême et ainsi l'acceptation de soi-même constitue l'essence même du problème moral et le centre de toute une conception des choses. Que j'asseye le mendiant à ma table, que je pardonne à celui qui m'offense, que je m'efforce même d'aimer mon ennemi au nom du Christ est certes haute vertu. Ce que j'ai fait pour le plus misérable parmi mes frères, à travers lui je l'ai fait au Christ. Mais qu'adviendra-t-il si d'aventure je découvre que le plus misérable de tous, que le plus pauvre des mendiants, que le plus effronté des calomniateurs, que mon ennemi enfin est en moi, que c'est moi-même qui ai le plus besoin de l'aumône de ma bonté et que je suis précisément pour moi-même l'ennemi qu'il me faut aimer?
En règle général, on assiste alors à un renversement total de toute la vérité chrétienne: il n'est plus trace d'amour ni de patience et le sujet crie vengeance au faux frère qui sommeille en lui: le sujet se condamne et s'emporte contre lui-même. Vers l'extérieur nous dissimulons cela avec le plus grand soin, nous cachons cet être minable dont nous sommes aussi pétri, et nous nierons l'avoir jamais rencontré, même si c'était Dieu qui se cachait sous ces traits et qui nous abordait de la sorte, nous l'aurions renié mille fois bien avant que le coq n'ai chanté.
Malheureusement, il n'est pas douteux que l'homme est, dans l'ensemble, moins bon qu'il ne s'imagine ou ne voudrait être. Chacun est suivi d'une ombre et m oins celle-ci est incorporée dans la vie consciente de l'individu, plus elle est noire et dense. Si une infériorité est consciente, on a toujours la chance éventuelle de la corriger. De plus, elle est constamment en contact avec d'autres centres d'intérêts, de sorte qu'elle est toujours soumise à des modifications. Mais si elle est refoulée et isolée de la conscience, elle ne sera jamais corrigée.
Le fait en soi est proprement effrayant que l'homme ait un côté d'ombre, ombre qui ne comporte pas seulement – comme on se plairait à le penser – de petites faiblesses et des grains de beauté, mais aussi une dynamique franchement démoniaque. L'individu isolé est rarement au courant de ces faits; car pour lui, solitaire, il est presque impensable, ou bien invraisemblable, qu'il se dépasse en quelque point ou de quelque façon. Mais laissons cet être inoffensif constituer avec d'autres une masse, et déjà, par leur réunion, ils forment un monstre qui, à la moindre occasion, sera aisément délirant, et au sein duquel l'individu ne forme plus qu'un facteur minime, de gré ou de force, il ne peut faire autrement que de participer à la folie sanguinaire de la bête, ou même il l'y aidera de ses forces. Le pressentiment obscur de ces possibilités, qui sont le dramatique apanage de l'ombre dans l'homme, font qu'on préfère le repousser et en méconnaître l'existence. On se hérisse aveuglément contre le dogme salutaire du péché originel, qui exprime pourtant une vérité si inouïe. On hésite même à s'avouer le conflit qu'on ressent de fa4on si douloureuse.
L'homme cultivé s'efforce de réprimer en lui-même l'homme inférieur, sans réaliser que, se faisant, il contraint celui-ci à devenir révolutionnaire.
Nous portons notre passé avec nous, à savoir l'homme primitif et inférieur, avec ses avidités et ses émotions, et c'est seulement par un effort considérable que nous pouvons nous libérer de ce fardeau. Lorsqu'un être arrive à la névrose, nous avons invariablement affaire à une “ombre” considérablement intensifiée. Et si l'on veut aboutir à la guérison d'un tel cas, il est indispensable de l'aider à trouver une voie selon laquelle sa personnalité consciente et son ombre pourront vivre ensemble.
En règle général, les tendances, qui représentent les éléments antisociaux dans la structure psychique de l'homme – ce que j'appelle le “criminel statistique” dans chacun – son réprimées, c'est-à-dire consciemment et délibérément éliminées. Quant aux tendances qui d'emblée sont refoulées, elles sont habituellement de caractère douteux. Elle ne sont pas précisément antisociales, mais elles ne sont pas très conventionnelle ni socialement acceptables. Le motif qui conduit à leur répression est également douteux. Certains les répriment par pure lâcheté, d'autres encore, pour des raisons de réputation. Le refoulement est une manière demi-consciente, semi-intentionnelle de laisser aller les choses dans l'indécision ou une tentative de masquer par du mépris une impuissance à atteindre quelque chose d'inaccessible, ou bien un refus de voir, permettant de ne pas prendre conscience de ses propres désirs.
Les drames les plus insensés et les plus saisissants, on le sait, ne se déroulent pas au théâtre, mais dans le coeur de bons bourgeois que l'on rencontre sans leur prêter attention et qui, tout au plus, par une débâcle nerveuse, trahissent les combats qui se livrent en eux. Ce que le profane a le plus de difficulté à comprendre, c'est que les malades ne soupçonnent pas le moins du monde que la guerre civile a éclaté dans leur inconscient. Mais quand on sait combien d'êtres humains ne comprennent pas ce qu'ils sont, on ne doit pas trop s'étonner qu'il y en ait aussi qui ne soupçonnent rien de leurs propres conflits.
Le secret et la rétention affective entraînent des dommages auxquels la nature, en fin de compte, répond par des maladies. Entendons-nous bien: ils n'entraînent des dommages que si le secret et la rétention sont uniquement personnels; si, par contre, ils sont mis en commun, la nature se tient pour satisfaite et ils peuvent même alors être des vertus salutaires. Ce qui est insupportable, c'est la rétention personnelle. Tout se passe comme si l'humanité avec un droit irréfragable à connaître ce qu'il y a d'obscur, d'imparfait, de sot et de coupable en chacun, étant bien entendu que les choses qu'on dissimule par auto-défense sont presque toujours de cette sorte. Il semble qu'on pèche autant contre la nature en dissimulant ses points faibles qu'en vivant exclusivement selon ses faiblesses.
Si les tendances refoulées de l'ombre n'étaient que mauvaises, il n'y aurait pas de problèmes du tout. Or l'ombre est en règle général quelque chose d'inférieur, de primitif, d'inadapté et de malencontreux, mais non d'absolument mauvais. Elle contient même certaines qualités enfantines ou primitives qui pourraient dans une certaine mesure raviver et embellir l'existence humaine; seulement on se heurte à des règles établies.
En réalité, l'acceptation des côtés ombreux de la nature humaine constitue une performance qui touche à l'impossible. Qu'on réfléchisse un instant à ce que cela représente que d'accepter dans leur droit à l'existence le déraisonnable, l'insensé et le mauvais. C'est pourtant à cela qu'aspire l'homme moderne, il veut vivre par les moyens du bord, avec ce qu'il est; il veut savoir ce qu'il est et c'est pourquoi il rejette l'histoire. Il veut être hors de l'histoire ou sans histoire pour vivre de façon expérimentale et pour constater ce que les choses possèdent en elles-mêmes de valeur et de sens, abstraction faite de ce que tendraient à leur conférer les préjugés historiques.
L'oppression pure et simple de l'ombre ne constitue pas plus un remède que la décapitation ne guérit la migraine; d'autre part, détruire la morale d'un homme ne serait non plus d'aucun secours, car cela tuerait son meilleur moi, sans lequel l'ombre elle-même n'aurait plus de sens. Dès lors la réconciliation de ces contraires est un des problèmes les plus importants qui soient, et déjà dans l'Antiquité elle a préoccupé certains esprits.
L'“ombre” pris au sens le plus profond, est l'invisible queue de saurien que l'homme traîne encore derrière lui. Soigneusement séparée elle devient le serpent sacré du mystère. Seuls les singes s'en servent pour parader.
Imaginez un homme qui soit assez courageux pour retirer, sans exception, toutes ses projections et vous aurez un individu qui aura pris conscience d'une ombre étonnamment épaisse. Un tel homme s'est chargé de nouveaux problèmes et de nouveaux conflits. Pour lui-même il est devenu une grande tâche, car désormais il ne saurait plus dire que “eux” font ceci ou cela, que “les autres” sont dans l'erreur et qu'il faut “les” combattre. Il vit dans la “maison de la réflexion sur soi-même”, du recueillement intérieur. Un tel homme sait que tout ce qui va de travers dans le monde agit aussi en lui-même; si seulement il apprend à traiter comme il convient avec sa propre ombre, il aura accompli quelque chose de réel pour le monde. Il aura alors réussi à résoudre au moins une partie, ne fût-elle qu'infinitésimale, des gigantesques problèmes irrésolus de notre époque.
Du recueil L'Ame et la vie, Livre de poche, Références
Le texte qui suit a été écrit et lu le 16 mars 1915. Il ne porte pas sur la guerre mondiale en cours, mais se voulait être une sorte de “critique interrogeante” du stoïcisme et de l'approche métaphysique des stoïques. Le discours, intitulé “The Stoic Philosophy”, fut prononcé par un certain Gilbert Murray (1866-1957), professeur à Oxford et spécialiste de renommée mondiale dans l'étude de la Grèce antique, lors d'une séance du “Conway Memorial” tenue au “South Place Institute”, à Londres, je pense.
Le “Conway” qui était commémoré lors que ce mémorial n'était autre que Moncure D. Conway (1832–1907), pasteur et homme de lettres américain très prolifique, connu surtout pour sa lutte aux côtés des esclaves et pour avoir créé une colonie d'hommes libres.
Je mets un petit projecteur sur l'extrait ci-dessous, car je trouve que sa fin est à la fois de toute beauté et suscite une poursuite de la réflexion – notamment en l'étendant à la science et à la question de savoir si la science, soumise aussi aux aléas de la psychologie humaine, est une philosophie au même titre que le stoïcisme et toutes les autres philosophies.
Je mets le texte en version originale suivie par une transposition machine presque brute en français.
THE STOIC PHILOSOPHY
[…]
A Friend behind phenomena, I owe the phrase to Mr. Bevan. It is the assumption which all religions make, and sooner, or later all philosophies. The main criticism which I should be inclined to pass on Stoicism would lie here. Starting out, with every intention of facing the problem of the world by hard thought and observation, resolutely excluding all appeal to tradition and mere mythology, it ends by making this tremendous assumption, that there is a beneficent purpose in the world and that the force which moves nature is akin to ourselves. If we once grant that postulate, the details of the system fall easily into place. There may be some overstatement about the worthlessness of pleasure and worldly goods; though, after all, if there is a single great purpose in the universe, and that purpose good, I think we must admit that, in comparison with it, the happiness of any individual at this moment dwindles into utter insignificance. The good, and not any pleasure or happiness, is what matters. If there is no such purpose, well, then the problem must all be stated afresh from the beginning.
A second criticism, which is passed by modern psychologists on the Stoic system, is more searching but not so dangerous. The language of Stoicism, as of all ancient philosophy, was based on a rather crude psycho, logy. It was over-intellectualized. It paid ~ too much attention to fully conscious and rational processes, and too little attention to the enormously larger part of human conduct which is below the level of consciousness. It saw life too much as a series of separate mental acts, and not sufficiently as a continuous, ever-changing stream. Yet a very little correction of statement is all that it needs. Stoicism does not really make reason into a motive force. It explains that an “impulse,” or ópuń, of physical or biological origin rises in the mind prompting to same action, and then Reason gives or withholds , its assent. There is nothing seriously wrong here.
Other criticisms, based on the unreality of the ideal Wise Man, who acts without desire and makes no errors, seem to me of smaller importance. They depend chiefly on certain idioms or habits of language, which, though not really exact, convey a fairly correct meaning to those accustomed to them.
But the assumption of the Eternal Purpose, stands in a different category. However much refined away, it remains a vast assumption. We may discard what Professor William James used to call “ Monarchical Deism” or our own claim to personal immortality. We may base ourselves on Evolution, whether of the Darwinian or the Bergsonian sort. But we do seem to find, not only in all religions, but in practically all philosophies, some belief that man is not quite alone in the universe, but is met in his endeavours towards the good by some external help or sympathy. We find it everywhere in the unsophisticated man. We find it in the unguarded self-revelations of the most severe and conscientious Atheists.
Now, the Stoics, like many other schools of thought, drew an argument from this consensus of all mankind. It was not an absolute proof of the existence of the Gods or Providence, but it was a strong indication. The existence of a common instinctive belief in the mind of man gives at least a presumption that there must be a good cause for that belief.
This is a reasonable position. There must be some such cause. But it does not follow that the only valid cause is the truth of the content of the belief. I cannot help suspecting that this is precisely one of those points on which Stoicism, in company with almost all philosophy up to the present time, has gone astray through not sufficiently realizing its dependence on the human mind as a natural biological product. For it is very important in this matter to realize that the so-called belief is not really an intellectual judgment so much as a craving of the whole nature.
It is only of very late years that psychologists have begun to realize the enormous dominion of those forces in man of which he is normally unconscious. We cannot escape as easily as these brave men dreamed from the grip of the blind powers beneath the threshold. Indeed, as I see philosophy after philosophy falling into this unproven belief in the Friend behind phenomena, as I find that I myself cannot, except for a moment and by an effort, refrain from making the same assumption, it seems to me that perhaps here too we are under the spell of a very old ineradicable instinct. We are gregarious animals; our ancestors have been such for countless ages. We cannot help looking out on the world as gregarious animals do; we see it in terms of humanity and of fellowship.
Students of animals under domestication have shown us how the habits of a gregarious creature, taken away from his kind, are shaped in a thousand details by reference to the lost pack which is no longer there—the pack which a dog tries to smell his way back to all the time he is out walking, the pack he calls to for help when danger threatens. It is a strange and touching thing, this eternal hunger of the gregarious animal for the herd of friends who are not there. And it may be, it may very possibly be, that, in the matter of this Friend behind phenomena, our own yearning and our own almost ineradicable instinctive conviction, since they are certainly not founded on either reason or observation, are in origin the groping of a lonely-souled gregarious animal to find its herd or its herd leader in the great spaces between the stars.
At any rate, it is a belief very difficult to get rid of.
LA PHILOSOPHIE STOÏCIENNE
[…]
Un “ami derrière les phénomènes”, je dois cette phrase à M. Bevan. C'est l'hypothèse que font toutes les religions et, tôt ou tard, toutes les philosophies. La principale critique que je serais enclin à faire au stoïcisme se situerait ici. Partant de l'intention d'affronter le problème du monde par la réflexion et l'observation, excluant résolument tout recours à la tradition et à la simple mythologie, il finit par faire cette énorme supposition qu'il existe un but bénéfique dans le monde et que la force qui anime la nature est semblable à nous-mêmes. Si l'on accepte ce postulat, les détails du système se mettent facilement en place. On peut exagérer l'inutilité du plaisir et des biens de ce monde; mais, après tout, s'il n'y a qu'un seul grand dessein dans l'univers, et que ce dessein est bon, je pense que nous devons admettre que, par rapport à lui, le bonheur de n'importe quel individu en ce moment tombe dans l'insignifiance la plus totale. C'est le bien, et non un quelconque plaisir ou bonheur, qui importe. Si cette finalité n'existe pas, eh bien, le problème doit être posé à nouveau depuis le début.
Une seconde critique, formulée par les psychologues modernes à l'égard du système stoïcien, est plus approfondie mais moins dangereuse. Le langage du stoïcisme, comme de toute la philosophie antique, était basé sur une psychologie assez grossière. Il était sur-intellectualisé. Il accordait beaucoup trop d'attention aux processus pleinement conscients et rationnels, et trop peu d'attention à la part énormément plus importante de la conduite humaine qui se situe en dessous du niveau de la conscience. Elle voyait trop la vie comme une série d'actes mentaux distincts, et pas assez comme un flux continu et en perpétuel changement. Pourtant, une toute petite correction de l'énoncé est tout ce dont il a besoin. Le stoïcisme ne fait pas vraiment de la raison une force motrice. Il explique qu'une “impulsion” d'origine physique ou biologique s'élève dans l'esprit pour inciter à une même action, puis la Raison donne ou refuse son assentiment. Mais cet point de vue ne me pose pas de problème sérieux ici.
D'autres critiques, fondées sur l'irréalité du Sage idéal, qui agit sans désir et ne commet aucune erreur, me semblent de moindre importance. Elles dépendent surtout de certains idiomes ou habitudes de langage, qui, sans être vraiment exacts, transmettent un sens assez correct à ceux qui y sont habitués.
Mais l'hypothèse de l'objectif éternel se situe dans une catégorie différente. Aussi raffinée soit-elle, elle reste une vaste hypothèse. Nous pouvons écarter ce que le professeur William James appelait le “déisme monarchique” ou notre propre prétention à l'immortalité personnelle. Nous pouvons nous baser sur l'évolution, qu'elle soit de type darwinien ou bergsonien. Mais nous semblons trouver, non seulement dans toutes les religions, mais dans presque toutes les philosophies, une certaine croyance que l'homme n'est pas tout à fait seul dans l'univers, mais qu'il est aidé dans ses efforts vers le bien par une aide ou une sympathie extérieure. Nous la trouvons partout chez l'homme non sophistiqué. Nous la trouvons dans les révélations spontanées des athées les plus sévères et les plus consciencieux.
Or, les stoïciens, comme beaucoup d'autres écoles de pensée, tiraient un argument de ce consensus de toute l'humanité. Ce n'était pas une preuve absolue de l'existence des Dieux ou de la Providence, mais c'était une forte indication. L'existence d'une croyance instinctive commune dans l'esprit de l'homme donne au moins une présomption qu'il doit y avoir une bonne cause pour cette croyance.
C'est un point de vue raisonnable. Il doit y avoir une telle cause. Mais il ne s'ensuit pas que la seule cause valable soit la vérité du contenu de la croyance. Je ne peux m'empêcher de soupçonner que c'est précisément l'un des points sur lesquels le stoïcisme, en compagnie de presque toute la philosophie jusqu'à présent, s'est égaré en ne réalisant pas suffisamment sa dépendance à l'égard de l'esprit humain en tant que produit biologique naturel. Car il est très important, dans ce domaine, de se rendre compte que la soi-disant croyance n'est pas tant un jugement intellectuel qu'un besoin de la nature entière.
Ce n'est que très récemment que les psychologues ont commencé à se rendre compte de l'énorme domination qu'exercent sur l'homme ces forces dont il est normalement inconscient. Nous ne pouvons pas nous échapper aussi facilement que ces hommes courageux l'ont rêvé, de l'emprise des pouvoirs aveugles qui se cachent sous le seuil. En effet, alors que je vois philosophie après philosophie tomber dans cette croyance non prouvée en l'“Ami derrière les phénomènes”, alors que je constate que je ne peux moi-même, sauf pour un moment et par un effort, m'abstenir de faire la même supposition, il me semble que peut-être ici aussi nous sommes sous le charme d'un très vieil instinct indéracinable. Nous sommes des animaux grégaires; nos ancêtres l'ont été pendant d'innombrables siècles. Nous ne pouvons nous empêcher de regarder le monde comme le font les animaux grégaires; nous le voyons en termes d'humanité et de camaraderie.
Les étudiants qui étudient les animaux domestiqués nous ont montré comment les habitudes d'une créature grégaire, enlevée à son espèce, sont façonnées dans mille détails par référence à la meute perdue qui n'est plus là - la meute que le chien essaie de retrouver à l'odeur tout au long de sa promenade, la meute qu'il appelle à l'aide quand le danger menace. C'est une chose étrange et touchante, cette faim éternelle de l'animal grégaire pour le troupeau d'amis qui n'est pas là. Et il se peut, il se peut très bien, qu'en ce qui concerne cet Ami derrière les phénomènes, notre propre désir et notre conviction instinctive presque inexorable, puisqu'ils ne sont certainement pas fondés sur la raison ou l'observation, soient à l'origine les tâtonnements d'un animal grégaire à l'âme solitaire pour trouver son troupeau ou son chef de troupeau dans les grands espaces entre les étoiles.
En tout cas, c'est une croyance dont il est très difficile de se débarrasser.
Sur le chemin d'être dans le stoïcisme aujourd'hui.
Le manuel d'Epictète – extraits
V.
Ce qui tourmente les hommes, ce n'est pas la réalité mais les jugements qu'ils portent sur elle. Ainsi, la mort n'a rien de redoutable. Socrate lui-même était de cet avis: la chose à craindre, c'est l'opinion que la mort est redoutable. Donc,lorsque quelque chose nous contrarie, nous tourmente ou nous chagrine, n'en accusons personne d'autre que nous-mêmes: c'est-à-dire nos opinions. C'est la marque d'un petit esprit de s'en prendre à autrui lorsqu'il échoue dans ce qu'il a entrepris; celui qui exerce sur soi un travail spirituel s'en prendra à soi-même; celui qui achèvera ce travail ne s'en prendra ni à soi ni aux autres.
VIII.
N'attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites; décide de vouloir ce qui arrive comme cela arrive et tu seras heureux.
IX.
La maladie est une gêne pour le corps; pas pour la liberté de choisir, à moins qu'on ne l'abdique soi-même. Avoir un pied trop court est une gêne pour le corps, pas pour la liberté de choisir. Aie cette réponse à l'esprit en toute occasion: tu verras que la gêne est pour les choses ou pour les autres, non pour toi.
XI.
Ne dis jamais, à propos de rien, que tu l'as perdu; dis: «Je l'ai rendu.» Ton enfant est mort? Tu l'as rendu. Ta femme est morte? Tu l'as rendue. On t'a volé? Eh bien, ce que l'on t'a volé, tu l'as rendu. «Mais c'est un scélérat qui me l'a pris!» Que t'importe le moyen dont s'est servi, pour le reprendre, celui qui te l'avait donné? En attendant le moment de le rendre, en revanche, prends-en soin comme d'une chose qui ne t'appartient pas, comme font les voyageurs dans une auberge.
XII.
1. Si tu veux faire des progrès, laisse tomber les réflexions du genre: «Si je néglige mes intérêts, je n'aurai même pas de quoi vivre.» «Si je ne suis pas assez sévère avec mon esclave, il me servira mal.» Mieux vaut mourir de faim délivré du chagrin et de la peur, que vivre dans l'abondance au milieu des angoisses. Mieux vaut être mal servi par son esclave que malheureux.
2. Commence donc par les petites choses. On gaspille ton huile, on vole ton vin? Dis-toi: c'est le prix de la tranquillité, c'est le prix d'une âme sans trouble. On n'a jamais rien pour rien. Quand tu as besoin de ton esclave, souviens-toi qu'il peut ne pas venir et que, s'il vient, il exécutera peut-être tes ordres à tort et à travers. Mais il n'a pas le pouvoir que ta tranquillité dépende de lui.
XIV.
2. Tout homme a pour maître celui qui peut lui apporter ou lui soustraire ce qu'il désire ou ce qu'il craint. Que ceux qui veulent être libres s'abstiennent donc de vouloir ce qui ne dépend pas d'eux seuls: sinon, inévitablement, ils seront esclaves.
XVII.
Souviens-toi que tu joues dans une pièce qu'a choisie le metteur en scène: courte, s'il l'a voulue courte, longue, s'il l'a voulue longue. S'il te fait jouer le rôle d'un mendiant, joue-le de ton mieux; et fais de même, que tu joues un boiteux, un homme d'État ou un simple particulier. Le choix du rôle est l'affaire d'un autre.
XXII.
Si ton désir te pousse vers la philosophie, prépare-toi à être partout en butte aux moqueries et aux sarcasmes; à entendre dire: «Voyez-le devenu soudainement philosophe!» ou «Qu'est-ce qui nous vaut cette arrogance?» Mais toi, ne sois pas arrogant; tiens-t'en fermement aux conduites qui te semblent les meilleures, conscient que c'est le dieu qui t'a mis à ce poste. Et souviens-toi que, si tu restes constant dans ces principes, ceux qui au début se moquaient de toi finiront par t'admirer; tandis que si tu ne te montres pas à la hauteur, on rira de toi deux fois plus fort.
XXVII.
De même qu'on ne place pas de cible pour recevoir les tirs ratés, de même il n'y a pas de place pour le mal dans l'ordre universel.
XXXVIII.
Tout comme tu fais attention, en te promenant, à ne pas marcher sur un clou et à ne pas te tordre la cheville, fais attention aussi à ne pas faire de mal à ce qui dirige ton âme. En gardant cette nécessité à l'esprit au seuil de chaque entreprise, nous ferons plus sûrement ce que nous avons à faire.
XXXIX-
Pour ce que l'on doit avoir ou posséder la mesure est le corps, comme le pied est celle de la chaussure. Si tu t'en tiens à ce critère, tu garderas la mesure. Mais si tu vas au-delà, tu seras forcément entraîné comme du haut d'une falaise. Pour la chaussure, si tu vas au-delà des besoins du pied, tu la voudras couverte d'or, puis teinte en pourpre, puis brodée. Une fois qu'on a passé la mesure, il n'y a plus aucune limite.
XLII.
Face à quelqu'un qui te fait du tort par sa conduite ou ses propos, souviens-toi que s'il agit ainsi, c'est qu'il pense avoir raison. Il ne lui est pas possible de régler sa conduite sur ta façon de penser: c'est la sienne qui le guide, et, si elle est erronée, il se fait du tort à lui-même en demeurant dans son erreur. En effet, si une vérité complexe passe pour un mensonge, ce n'est pas la complexité qui est en faute, mais bien celui qui se trompe. En te fondant sur ce principe, tu garderas ton sang-froid face à ceux qui t'insultent: chaque fois, tu n'auras qu'à te dire: «C'est ce que lui pense.»
XLIII.
Toute chose donne prise sur deux côtés: l'un permet de la porter, l'autre non. Si ton frère te fait du tort, ne prends pas cela en te disant qu'il te fait du tort (c'est le côté impossible à porter), dis-toi plutôt que c'est ton frère, ton compagnon, tu prendras ainsi la chose du côté où l'on peut la porter.
XLVIII.
1. Attitude et caractère de l'homme ordinaire: il n'attend rien, en bien ou en mal, de soi-même, et tout des circonstances extérieures. Attitude et caractère du philosophe: il attend tout, en bien comme en mal, de soi-même.
LII.
1. Le premier domaine de la philosophie et le plus indispensable, c'est la mise en pratique des principes, comme, par exemple, l'interdiction de mentir. Le second concerne les démonstrations: ainsi, pourquoi ne faut-il pas mentir. Le troisième explique et analyse les deux premiers: ainsi, la reconnaissance qu'on est en présence d'une démonstration; ce que sont une démonstration, une déduction, le vrai, le faux, etc. Par conséquent, le troisième domaine est indispensable pour
accéder au second, comme le second pour accéder au premier.
2. Mais le plus indispensable, le terme de toute recherche, c'est le premier. Seulement, nous faisons tout à l'envers: nous nous attardons au troisième, nous lui consacrons tous nos efforts en oubliant complètement le premier. Voilà pourquoi nous mentons sans cesse en étant prêts, cependant, à exprimer le raisonnement qui prouve qu'il ne faut pas mentir…
LIII.
4. «Anytos et Mélétos peuvent me tuer, ils ne peuvent me nuire.»
En ces temps où les Etats parents enferment leurs citoyens enfants dans une violence institutionnelles pour leur bien, et où les citoyens parents s'y soumettent jusqu'à imposer eux-mêmes la violence institutionnelle à leurs enfants en leur faisant porter une culpabilité injuste, tant sur la bouche que dans les mains que dans leur psychisme (vous êtes contagieux d'un mal dont vous ne souffrez pas, donc il nous incombe de vous en faire souffrir)…
Les citoyens parents “savent” au plus profond d'eux ce qu'ils font, mais l'obéissance est d'autant plus totale et totalitaire qu'elle est la seule alternative possible. Car, que faire s'ils n'obéissaient pas à ce qui est fait au nom de leur bien? Ne voulant pas être vus injustement comme maltraitants, ils choisissent d'obéir et sacrifier leurs enfants pour être vus injustement comme “bientraitants”.
Une crise de civilisation dont quelques racines sont décrites dans les extraits ci-dessous.
C’est pour ton bien
Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant
Miller, Alice, Aubier, 1984, 320 p. (extraits, avec références des pages)
Extraits sélectionnés par Jean-Pierre Lepri.
http://www.alice-miller.com/index_fr.php//
“Quelle chance pour ceux qui gouvernent que les hommes ne pensent pas” (Adolf Hitler).
L’opinion publique est loin d’avoir pris conscience que ce qui arrivait à l’enfant dans les premières années de sa vie se répercutait inévitablement sur l’ensemble de la société. 71 La seule connaissance des lois du développement de l’enfant ne nous met pas à l’abri de l’insatisfaction, ni de la colère, lorsque son comportement ne correspond pas à nos représentations idéales, ni à nos besoins, sans parler des cas où il semble mettre en péril nos mécanismes de défense.
La position des enfants est toute différente : ils ne sont pas entravés par un passé, et leur tolérance vis-à-vis des parents est absolument sans limites. 16
Les regards d’interdiction ou de mépris que perçoit le nourrisson peuvent entraîner à l’âge adulte de graves troubles. 18
Tout jeune enfant a besoin pour l’accompagner dans l’existence d’un être qui lui manifeste de l’empathie. On peut faire de l’enfant une foule de choses dans les deux premières années de sa vie, le plier, disposer de lui, lui enseigner de bonnes habitudes, le corriger et le punir, sans qu’il arrive quoi que ce soit, sans que l’enfant se venge. Il n’empêche qu’il ne parvient à surmonter sans difficulté l’injustice qui lui a été faite qu’à la condition de pouvoir se défendre, autrement dit à la condition de pouvoir donner à sa souffrance et à sa colère une expression structurée. Les sentiments sont refoulés, et le besoin de les exprimer de façon structurée demeure insatisfait et sans espoir de satisfaction. 19
Comment nos parents ont-ils été élevés ? Que devaient-ils et que pouvaient-ils faire de nous ? Comment aurions-nous pu nous en apercevoir alors que nous étions enfants ? Comment aurions-nous pu nous comporter autrement avec nos propres enfants ? Ce diabolique cercle vicieux pourra-t-il être aboli un jour ? La culpabilité n’existe-t-elle plus à partir du moment où l’on se bande les yeux ? 22
Ce sont toujours l’« entêtement », le caprice, l’esprit frondeur et la violence des sentiments de l’enfance qui ont posé le plus de problèmes à l’éducateur. 23
Les parents luttent pour obtenir sur leurs enfants le pouvoir qu’ils ont dû eux-mêmes abdiquer auprès de leurs propres parents. La menace qu’ils ont senti peser sur eux dans les premières années de leur vie et dont ils ne peuvent se souvenir, ils la vivent pour la première fois avec leurs propres enfants, et c’est seulement alors, devant de plus faibles qu’eux, qu’ils se défendent souvent très puissamment. Ils s’appuient ce faisant sur une foule de rationalisations qui ont subsisté jusqu’à aujourd’hui. Bien que ce soit toujours pour des raisons internes, autrement dit pour leurs propres besoins, que les parents maltraitent leurs enfants, il est admis une fois pour toutes dans notre société que ce traitement doit être bon pour l’enfant. 29
L’enfant doit donc apprendre dès le départ à « se renier lui-même », à étouffer en lui le plus tôt possible tout ce qui « n’a pas la faveur divine ». 43
Etant donné que l’on croit savoir exactement quels sont les sentiments justes et bons pour l’enfant (comme pour l’adulte), on lutte aussi contre la violence qui est la véritable source de l’énergie. 44
On combat comme source du mal quelque chose que l’on a soi-même fait naître. Une fois que l’on a suscité le « mal » par la répression du vivant, tous les moyens sont bons pour le combattre chez la victime. 45
Comment un petit enfant pourrait-il avoir l’idée que le besoin de tonnerre et l’éclair est issu des profondeurs inconscientes de l’âme de l’éducateur et n’a rien à voir avec sa propre âme enfantine ?
L’enfant doit se soumettre à l’adulte sans demander de raisons. 55
La privation d’amour dans toutes ses nuances joue un rôle primordial car nul enfant ne peut en supporter le risque. 58
Si l’enfant apprend à considérer même les châtiments corporels comme des « mesures nécessaires » contre les « malfaiteurs », parvenu à l’âge adulte, il fera tout pour se protéger lui-même de toute sanction par l’obéissance, et n’aura, en même temps, aucun scrupule à participe au système répressif. 59
Avoir sa propre volonté et sa propre opinion était considéré comme une marque d’obstination, et par conséquent interdit. 60
Le mépris et la persécution de l’enfant dans toute sa faiblesse, ainsi que la répression de la vie, de la créativité et de la sensibilité, en lui comme en nous-mêmes, s’étendent à de si nombreux domaines que nous ne les remarquons presque plus. Les degrés d’intensité et les sanctions varient mais on retrouve presque partout la tendance à éliminer le plus vite possible l’élément infantile, autrement dit l’être faible, dépourvu et dépendant qui nous habite, pour que se développe enfin l’être puissant, autonome et actif qui mérite le respect. Et quand nous rencontrons ce même être faible chez nos enfants, nous le poursuivons avec des moyens analogues à ceux que nous avons employés pour le combattre nous-mêmes et nous appelons cela l’éducation.
Les différents aspects caractéristiques de la « pédagogie noire » nous enseignent les principes suivants :
1. que les adultes sont les maîtres (et non pas les serviteurs !) de l’enfant encore dépendant ;
2. qu’ils tranchent du bien et du mal comme des dieux ;
3. que leur colère est le produit de leurs propres conflits ;
4. qu’ils en rendent l’enfant responsable ;
5. que les parents ont toujours besoin d’être protégés ;
6. que les sentiments vifs qu’éprouve l’enfant pour son maître constituent un danger ;
7. qu’il faut le plut tôt possible « ôter à l’enfant sa volonté » ;
8. que tout cela doit se faire très tôt de manière à ce que l’enfant « ne s’aperçoive de rien » et ne puisse pas trahir l’adulte.
Les moyens de l’oppression du vivant sont les suivants : pièges, mensonges, ruses, dissimulation, privation d’amour, isolement, méfiance, humiliation, mépris, moquerie, honte utilisation de la violence jusqu’à la torture. 77-78
L’une des méthodes de la « pédagogie noire » consiste également à transmettre dès le départ à l’enfant des informations et des opinions fausses. Ces dernières se transmettent depuis des générations et sont respectueusement reprises à leur compte par les enfants, alors que non seulement leur validité n’est pas prouvée, mais qu’il est prouvé qu’elles sont fausses. Entre autres opinions erronées, on peut citer par exemple les principes selon lesquels :
1. le sentiment du devoir engendre l’amour ;
2. on peut tuer la haine par des interdits ;
3. les parents méritent a priori le respect en tant que parents ;
4. les enfants ne méritent a priori aucun respect ;
5. l’obéissance rend fort ;
6. un sentiment élevé de sa propre valeur est nuisible ;
7. un faible sentiment de sa propre valeur conduit à l’amour de ses semblables ;
8. les marques de tendresse sont nocives (mièvrerie) ;
9. il ne faut pas céder aux besoins de l’enfant ;
10. la dureté et la froideur sont une bonne préparation à l’existence ;
11. une reconnaissance simulée vaux mieux qu’une sincère absence de reconnaissance ;
12. l’apparence est plus importante que l’être ;
13. les parents ni Dieu ne pourraient supporter la moindre injure ;
14. le corps est quelques chose de sale et de dégoûtant ;
15. la vivacité des sentiments est nuisible ;
16. les parents sont des êtres dénués de pulsions et exempts de toute culpabilité ;
17. les parents ont toujours raison. 78
Pour tout pédagogue, il est entendu, une fois pour toute, qu’il est mal de mentir, de faire du mal à quelqu’un ou de le vexer, de réagir par la cruauté à la cruauté parentale, au lieu de comprendre les bonnes intentions qu’elle cache, et inversement, il est considéré comme bon et positif que l’enfant dise la vérité, qu’il ne s’arrête pas à la cruauté de leurs actes, qu’il reprenne à son compte les idées de ses parents, qu’il sache adopter une attitude critique vis-à-vis de ses propres idées, et surtout qu’il ne fasse aucune difficulté pour se soumettre à ce qu’on exige de lui. Pour inculquer à l’enfant ces valeurs presque universellement reconnues, non seulement dans la tradition judéo-chrétienne mais aussi dans d’autres traditions, l’adulte doit parfois recourir au mensonge, à la dissimulation, à la cruauté, aux mauvais traitements et à l’humiliation, mais, chez lui, ce ne sont plus des « valeurs négatives », parce qu’il est déjà éduqué et qu’il n’est contraint d’employer ces moyens que pour parvenir à l’objectif sacré, à savoir que l’enfant renonce au mensonge, à la dissimulation, au mal, à la cruauté et à l’égoïsme. En fait, ce sont l’ordre hiérarchique et le pouvoir qui déterminent en dernier ressort qu’une action est bonne ou mauvaise. 82
Il y a indubitablement à mes yeux des valeurs que je n’ai pas besoin de relativiser et dont les possibilités de réalisation détermineront sans doute à long terme nos chances de survie. Ce sont entre autres : le respect des faibles, et par conséquent des enfants en particulier, le respect de la vie et de ses lois, sans quoi toute créativité est étouffée.
Ceux qui ont eu dès l’enfance la possibilité de réagir consciemment ou inconsciemment de façon adéquate aux souffrances, aux vexations et aux échecs qui leur étaient infligés, c’est-à-dire d’y réagir par la colère, conservent dans leur maturité cette aptitude à réagir de façon adéquate.
Adultes, ils perçoivent très bien et savent exprimer, le mal qu’on leur fait. Mais ils n’éprouvent pas pour autant le besoin de sauter à la gorge des autres. 83
Lorsqu’un terroriste attaque, au nom de ses idéaux, des êtres sans défense, se livrant ainsi à la fois aux chefs qui le manipulent et à la police du système qu’il combat, il raconte inconsciemment, par sa compulsion de répétition, ce qui lui a été fait jadis au nom des nobles idéaux de l’éducation. 85
La soumission absolue de l’enfant à la volonté des adultes ne s’est pas seulement traduite par la sujétion politique ultérieure (par exemple dans le système totalitaire du Troisième Reich), mais, avant même, par la prédisposition intérieure à toute nouvelle sujétion, dès lors que le jeune homme quittait la maison familiale. Comment un être qui n’avait pu développer en lui-même que la seule aptitude à obéir aux ordres qui lui étaient donnés aurait-il pu vivre de façon autonome avec ce vide intérieur ? 89
Nous nous demandons bien souvent comment un couple peut exister, comment cette femme peut vivre avec cet homme ou vice-versa. Il se peut que l’épouse en question ne supporte la vie commune qu’au prix d’immenses souffrances, de l’abdication de sa propre vie. Mais elle a l’impression qu’elle mourrait de peur si son mari l’abandonnait. En réalité, cette rupture serait peut-être la chance de sa vie. Mais elle ne peut pas s’en rendre compte tant qu’elle revit avec son mari les anciennes souffrances vécues avec son père et inconsciemment refoulées. À l’idée d’être abandonnée par cet homme, elle ne ressent pas la situation présente, mais revit l’angoisse d’abandon de la toute petite enfance et de l’époque où elle était véritablement dépendante de son père. 92-93
Lorsque survient un personnage qui parle et se comporte de façon analogue à son propre père, même l’adulte en oublie ses droits démocratiques ou n’en fait plus usage, il se soumet à ce personnage, lui fait des ovations, se laisse manipuler par lui, lui accorde toute sa confiance, enfin se livre entièrement à lui et ne s’aperçoit pas de l’esclavage dans lequel il tombe, parce que l’on ne remarque pas ce qui s’inscrit dans la continuité de sa propre enfance. Et à partir du moment où l’on s’est rendu aussi dépendant de quelqu’un qu’on l’était de ses parents dans sa petite enfance, il n’y a plus de moyen d’y échapper. 95
A partir du moment où les sentiments ont droit de cité, le silence est rompu, et il ne peut plus y avoir de frein au triomphe de la vérité. Même les débats intellectuels sur la question de savoir «si la vérité existe», « si tout n’est pas relatif », etc., apparaissent sous leur véritable jour, avec la fonction de protection qu’ils assurent, dès lors que la douleur a mis à nu la vérité. 96
Cette adaptation parfaite aux normes de la société, à ce qu’on appelle la « saine normalité », comporte bien évidemment le risque que le sujet en question puisse être utilisé à de nombreuses fins. Ce n’est pas une perte d’autonomie qui se produit ici, puisqu’il n’y a jamais eu d’autonomie, mais une interversion des valeurs, qui ne présentent en elles-mêmes, de toute façon, aucune importance pour l’individu considéré, aussi longtemps que le principe de l’obéissance domine tout son système de valeurs. On en est resté à l’idéalisation des parents et de leurs exigences qui peut aisément être transposée au Führer ou à l’idéologie correspondante. Etant donné que les parents ont toujours raison dans ce qu’ils exigent, ce n’est pas la peine de se casser la tête à chaque fois, pour savoir si leur exigence ponctuelle est également juste. 104
Le courage, l’honnêteté et l’aptitude à aimer les autres ne doivent pas être considérés comme des « vertus », ni comme de catégories morales, mais comme les conséquences d’un destin plus ou moins clément.
La morale et le sens du devoir sont des prothèses auxquelles il faut recourir lorsqu’il manque un élément capital. Plus la répression des sentiments a été profonde dans l’enfance, plus l’arsenal d’armes intellectuelles et la réserve de prothèses morales doivent être importants, car la morale et le sens du devoir ne sont ni les sources d’énergie, ni le terrain propice aux véritables sentiments humains. Les prothèses ne sont pas des éléments vivants. 105
Le sens du devoir n’est certes pas un terrain propice au développement de l’amour, mais à celui de sentiments réciproques de culpabilité. Par des sentiments de culpabilité qui durent toute la vie et une reconnaissance qui le paralyse, l’enfant est à tout jamais lié à la mère. 106
On comprend assez facilement, ou presque, que des hommes et des femmes aient pu sans problèmes apparents conduire à la chambre à gaz un million d’enfants porteur de ces parts de leur propre psychisme qu’ils redoutaient tant. On peut même se représenter qu’ils leurs aient hurlé dessus, qu’ils les aient battus ou photographiés et qu’ils aient enfin trouvé là un exutoire à leur haine de la petite enfance. Leur éducation visait dès le départ à exterminer tout ce qui relevait de l’enfance, du jeu et du vivant. Il fallait qu’ils reproduisent exactement de la même manière l’atrocité commise sur eux, le meurtre de l’âme perpétré sur les enfants qu’ils avaient été : chez ces enfants juifs qu’ils envoyaient à la chambre à gaz, ils ne faisaient jamais que reproduire inlassablement le meurtre de leur propre existence d’enfants. 107
L’éducation sert, dans bien des cas, à empêcher que ne s’éveille à la vie chez son propre enfant ce que l’on a jadis tué en soi-même. 111
Le principe pédagogique selon lequel il faudrait « orienter » dès le départ l’enfant dans une certaine direction naît du besoin de dissocier du soi les éléments inquiétants de sa propre intériorité et de les projeter sur un objet disponible. Le caractère malléable, souple, sans défense et disponible de l’enfant en fait l’objet idéal de ce type de projection. L’ennemi intérieur peut enfin être combattu à l’extérieur.
Les spécialistes de la recherche sur la paix sont de plus en plus conscients de ces mécanismes, mais tant qu’on n’en voit pas la source dans l’éducation des enfants, ou tant qu’on la dissimule, on ne peut pas entreprendre grand-chose pour y remédier. Car des enfants qui ont grandi investis des éléments exécrés de la personnalité de leurs parents, qu’il fallait combattre, ne peuvent pas espérer transférer ces éléments sur quelqu’un d’autre pour se sentir à nouveau bons, « moraux », nobles et proches des autres. Alors que ce type de projection peut aisément se faire sur n’importe quelle idéologie. 112
C’est l’éducateur, et non l’enfant, qui a besoin de la pédagogie. Ma position antipédagogique n’est pas orientée contre un certain type d’éducation mais contre l’éducation en soi, même lorsqu’elle est anti-autoritaire. 117
Ma conviction de la nocivité de l’éducation repose sur les constations suivantes :
Tous les conseils pour l’éducation des enfants trahissent plus ou moins nettement des besoins de l’adulte, nombreux et divers, dont la satisfaction n’est pas nécessaire au développement de l’enfant et de ce qu’il y a de vivant en lui, et par surcroît l’entrave. Cela vaut même pour les cas où l’adulte est sincèrement persuadé d’agir dans l’intérêt de l’enfant. Parmi ces besoins, il faut compter : premièrement, le besoin inconscient de reporter sur un autre les humiliations que l’on a soi-même subies dans le passé ; deuxièmement, le besoin de trouver un exécutoire aux affects refoulés ; troisièmement, celui de posséder un objet vivant disponible et manipulable ; uatrièmement, celui de conserver sa propre défense, c’est-à-dire de préserver ’idéalisation de sa propre enfance et de ses propres parents, dans la mesure où la valeur de ses propres principes d’éducation doit confirmer celles des principes parentaux ; cinquièmement, la peur de la liberté ; sixièmement, la peur de la réémergence du refoulé que l’on retrouve chez son propre enfant et qu’il faut à nouveau combattre chez lui, après l’avoir tué en soi ; septièmement et pour finir, la vengeance pour les souffrances endurées. Etant donné que, dans toute éducation, l’une de ces motivations intervient, elle est tout au plus bonne à faire de l’enfant un bon éducateur. Mais en aucun cas, elle ne peut l’aider à accéder à la liberté de la vie. Quand on éduque un enfant, il apprend à éduquer. Quand on fait la morale à un enfant, il apprend à faire la morale ; quand on le met en garde, il apprend à mettre en garde ; quand on le gronde, il apprend à gronder ; quand on se moque de lui, il apprend à se moquer ; quand on l’humilie, il apprend à humilier ; quand on tue son intériorité, il apprend à tuer. Il n’a alors plus qu’à choisir qui tuer: lui-même, les autres, ou les deux.
L’enfant a besoin, pour son développement, de respect de la part de sa personne de référence, de tolérance pour ses sentiments, de sensibilité à ses besoins et à ses susceptibilités, du caractère authentique de la personnalité de ses parents, dont c’est la propre liberté – et non des considérations éducatives – qui impose des limites naturelles à l’enfant. 119
Je ne vois pas quelle signification positive on pourrait trouver au terme « éducation ». Je n’y vois qu’une défense des adultes, une manipulation pour échapper à leur propre insécurité et à leur propre absence de liberté, que je peux certes comprendre, mais dont je ne dois pas ignorer les dangers.
Il y a dans le mot « éducation » la représentation d’un certain nombre d’objectifs que l’enfant doit atteindre – et l’on influe par là-même sur ses possibilités de développement. 121
L’accompagnement de l’adulte permet à l’enfant de se développer pleinement s’il présente les caractéristiques suivantes :
1. Respect de l’enfant ;
2. Respect de ses droits ;
3. Tolérance pour ses sentiments ;
4. Volonté de tirer de son comportement un enseignement sur :
a) La nature de cet enfant en particulier ;
b) Leur propre nature d’enfants, qui permette aux parents un véritable travail du deuil ;
c) Sur les lois de la sensibilité, qui apparaissent bien plus nettement chez l’enfant que chez l’adulte, parce que l’enfant vit ses sentiments de façon bien plus intense et, dans les meilleurs des cas, de façon bien plus directe que l’adulte. 122
Les principales étapes de la vie de la plupart des êtres consistent à :
1. subir dans sa petite enfance des offenses que personne ne considère comme telles ;
2. ne pas réagir à la douleur par la colère ;
3. manifester de la reconnaissance pour ces prétendus bienfaits ;
4. tout oublier ;
5. à l’âge adulte, décharger sur les autres la colère que l’on accumulée ou la retourner contre soi-même.
La plus grande cruauté que l’on inflige aux enfants réside dans le fait qu’on leur interdit d’exprimer leur colère ou leur souffrance, sous peine de risquer de perdre l’amour et l’affection de leurs parents. Cette colère de la petite enfance s’accumule donc dans l’inconscient, et comme elle représente dans le fond un très sain potentiel d’énergie vitale, il faut que le sujet dépense une énergie égale pour le maintenir refoulé. 128
Un être qui, avec ou sans châtiments corporels, a été contraint très le départ à étouffer en lui l’enfant vivant, ou le bannir, à le rejeter et à le persécuter, aura toute sa vie le souci de ne pas laisser cette menace intérieure se manifester à nouveau. Mais les forces psychiques sont d’une telle résistance qu’elles sont rarement étouffées définitivement. Elles cherchent perpétuellement des échappatoires pour pouvoir subsister sous une apparence déformée qui n’est pas toujours sans danger pour la société. L’une de ces formes est, par exemple, la projection de l’élément infantile à l’extérieur, dans le moi grandiose ; une autre en est la lutte contre le « mal » à l’intérieur de soi. La « pédagogie noire » montre que ces deux formes sont liées et que l’éducation religieuse traditionnelle les associe. 142
On se traite soi-même, sa vie durant, de la même façon que l’on a été traité dans la petite enfance. Et les plus torturantes souffrances sont souvent celles que l’on s’inflige ultérieurement. Il n’y a plus aucun moyen d’échapper au tortionnaire que l’on porte en soi et qui souvent se déguise en éducateur. 158
Nulle part je n’ai trouvé la bête, l’enfant mauvais, que les pédagogues croient devoir éduquer au « bien ». Je n’ai trouvé partout que des enfants sans défense qui avaient été maltraités par des adultes au nom de l’éducation et bien souvent pour servir des idéaux supérieurs. Mon optimisme repose donc sur l’espoir que l’opinion publique n’acceptera plus que soient dissimulés les mauvais traitements au service de l’éducation, dès lors qu’elle aura compris :
1. que cette éducation n’est pas fondamentalement conçue pour le bien de l’enfant mais pour satisfaire les besoins de puissance et de vengeance de ses éducateurs et
2. que non seulement l’enfant maltraité mais, en dernier ressort, nous tous pouvons en être victimes. 278
Ce qu’un être peut subir comme injustice, humiliation, mauvais traitement et abus ne reste pas, contrairement à ce que l’on pense généralement, sans effet. L’effet des mauvais traitements se répercute sur de nouvelles victimes innocentes, même si la mémoire n’en est pas restée dans la conscience de la victime elle-même. 281
La colère contre les parents, rigoureusement interdite mais très intense chez l’enfant, est transférée sur d’autres êtres et sur son propre soi, mais elle n’est pas éliminée du monde, au contraire : par la possibilité qui lui est donnée de se déverser sur les enfants, elle se répand dans le monde entier comme une peste. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des guerres de religion, bien que cela constitue dans le fond une contradiction en soi.
Le véritable pardon ne passe pas à côté de la colère, mais il passe par elle. C’est seulement à partir du moment où j’ai pu me révolter contre l’injustice qui m’a été faite, lorsque j’ai identifié la persécution en tant que telle et pu haïr mon bourreau, que la voie du pardon m’est ouverte. Pour que la colère, la rancœur et la haine ne se perpétuent pas éternellement, il faut que l’histoire des souffrances de la petite enfance soit entièrement dévoilée. 282
Lorsqu’un adulte a eu la chance de remonter jusqu’aux origines de l’injustice qu’il a subie dans sa vie individuelle et de la vivre avec des sentiments conscients, avec le temps, il comprendra de lui-même, et de préférence sans l’aide d’aucune assistance éducative ni religieuse, que ce n’est pas par plaisir, par puissance et par vitalité que ses parents l’ont torturé et maltraité comme ils l’ont fait, mais parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement, et qu’en ayant eux-mêmes été victimes autrefois, ils croyaient aux méthodes traditionnelles d’éducation.
Un être qui a pu dès l’enfance se sentir libre et fort n’a pas le moindre besoin d’en humilier les autres. 283
Ce n’est pas la haine vécue mais la haine accumulée intérieurement et réprimée par des idéologies qui conduit à des actes de violence et à la destruction. Tout sentiment vécu et éprouvé fait place avec le temps à un autre, et la haine du père la plus violente, si elle est consciente ne poussera jamais un être à commettre un meurtre, sans parler d’exterminer des peuples entiers.
1. Pour que les parents ressentent ce qu’ils font à leurs enfants, il faudrait qu’ils aient d’abord ressenti ce qui leur a été fait dans leur propre enfance. Mais c’est précisément ce qui leur a été interdit. 298
2. Lorsque le drame de leur enfance reste entièrement dissimulé derrière des idéalisations chez des êtres par ailleurs de bonne foi, il faut que la connaissance inconsciente de cet état de choses s’exprime indirectement. C’est ce qui se produit par l’intermédiaire de la compulsion de répétition. Pour des raisons qui leur restent incompréhensibles, ces êtres recréent toujours des situations et nouent toujours des relations dans lesquelles ils torturent leurs partenaires, sont torturés par eux ou les deux à la fois.
3. Du fait que la torture de ses propres enfants est un moyen d’éducation considéré comme légitime, l’agressivité refoulée et accumulée trouve là un exutoire facile.
4. Comme par ailleurs les réactions agressives aux mauvais traitements physiques ou psychiques infligés par les parents sont interdites par presque toutes les religions, le sujet en est réduit à ce type d’exutoires.
Où que je regarde, je vois l’ordre de respecter les parents, mais nulle part l’exigence du respect de l’enfant. 299
Ce ne sont pas des « crises » ni des « systèmes » qui ont tué, ce sont des hommes, des hommes dont les pères avaient toujours pu être fiers de l’obéissance de leurs petits. 300
1. Exprimant ses besoins les plus normaux et les plus inoffensifs, l’enfant peut être ressenti par ses parents comme exigeant, tyrannique et dangereux, s’ils ont eux-mêmes souffert par exemple de l’autorité d’un père tyrannique dont ils n’ont pas pu se défendre.
2. L’enfant peut réagir à ces « attributions » par une exigence effective, issue de son faux soi, de manière à incarner aux yeux de ses parents le père agressif qu’ils recherchent toujours.
3. Traiter ce comportement de l’enfant ou du futur patient au niveau des pulsions, et vouloir l’aider en l’éduquant au « renoncement pulsionnel », serait ignorer la véritable histoire de cette tragique représentation de soi-même et abandonner le patient à sa solitude.
4. Il n’y a pas besoin de rechercher le « renoncement pulsionnel », ni la « sublimation » de la « pulsion de mort », à partir du moment où l’on a compris les racines d’une action destructrice ou agressive dans l’histoire de sa vie, dans la mesure où, à partir de ce moment-là, les énergies psychiques se changent d’elles-mêmes en créativité à condition qu’aucune mesure éducative n’ait été prise.
5. Le travail du deuil sur ce qui s’est passé irréversiblement est la condition sine qua non de ce processus.
6. Ce travail du deuil conduit non seulement à de nouvelles formes d’interaction avec des partenaires actuels mais aussi à une modification intrapsychique structurelles. 306
Les parents ne sont bien évidemment pas uniquement des bourreaux, mais il est important de savoir que, dans bien des cas, ils le sont aussi, et très souvent sans même s’en apercevoir. Les parents qui aiment leurs enfants devraient avoir, plus que personne, la curiosité de savoir ce qu’ils font inconsciemment à leurs enfants. S’ils ne veulent rien en savoir tout en se réclamant de leur amour, c’est qu’ils n’ont pas véritablement le souci de la vie de leurs enfants, mais celui d’une sorte de comptabilité dans leur propre registre de culpabilité. 307
Toute pédagogie devient superflue dès lors que l’enfant a pu avoir auprès de lui, dans son enfance, une personne stable, qu’il peut utiliser au sens où l’entent également Winnicott, qu’il ne doit pas craindre de perdre, par qui il n’a pas à craindre d’être abandonné s’il exprime ce qu’il ressent. Un enfant qui est pris au sérieux, respecté et soutenu dans ce sens-là peut faire sa propre expérience de lui-même et du monde et n’a pas de sanctions à craindre de l’éducateur. 313
Le drame de l’individu bien élevé réside dans le fait qu’une fois adulte, il ne peut pas savoir ce qui lui a été fait, ni ce qu’il fait lui-même, s’il ne s’en est pas aperçu quand il était enfant. Des foules d’institutions en profitent et en particulier les régimes totalitaires. 314
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Document interne de travail du CRÉA (Cercle de réflexion pour une ‘éducation’ authentique) : 8
7 Les Champs Dessus, F-71300 MARY, education-authentique.org/